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La visite de la vieille dame

Dernière mise à jour : 8 avr. 2024








« Le monde a fait de moi une putain ;


 je veux faire du monde un bordel »








1. Résumé

2. Conditions d’écriture : Friedrich Dürrenmatt

3. La pièce

4. Analyse des personnages

5. Analyse : Quelle est la question que souhaite répondre l’auteur ?




Résumé


Güllen, petite ville, se voit s'appauvrir mystérieusement depuis plusieurs décennies. Tout n'est que désespoir pour les habitants de Güllen jusqu'à ce que la richissime Claire Zachanassian décide de retourner dans son village natal pour fêter ses noces. Le village entier voit cette visite comme une opportunité et espère soutirer plusieurs millions à la vieille dame en lui évoquant de beaux souvenirs de son enfance dans ces lieux.


Claire, attendrie par le sort de son village, accepte de faire une donation à une condition : elle offrira un milliard si quelqu'un tue Alfred Ill. Ce dernier avait été son fiancé pendant leur jeunesse mais l'avait abandonnée après l'avoir accidentellement mise enceinte.


Une véritable chasse à l'homme se produit à Güllen. Alors que certains de ses concitoyens le soutiennent, Alfred Ill est de plus en plus surpris par les changements de comportement de son entourage : famille, amis, clients... La crainte et l'angoisse prennent le dessus.

C'est alors que la milliardaire avoue avoir elle-même racheté les usines de la région pour les fermer et ainsi causer la ruine de la ville.


Dans ce climat de tension et d'hypocrisie grandissantes, alors que la ville est envahie par la presse venue des quatre coins du monde pour le mariage de Claire, une grande réunion communautaire a lieu pour régler le sort du commerçant. Sans procès ni honneurs, Ill est condamné à mort par ses amis et sa famille et est froidement tué au fond d'une ruelle, sans que nous sachions réellement par qui.

La vieille dame remet alors le chèque au maire comme promis, et s'en va, comme si rien ne s'était passé.



Conditions d'écriture - auteur


Dürrenmatt est le fils d’une époque fatidique.Non seulement il vit la deuxième guerre mondiale mais également la guerre froide. C’est l'ascension du fascisme tout comme du capitalisme. 

Friedrich Dürrenmatt est né le 5 janvier 1921 à Konolfingen, Suisse, et mort le 14 décembre 1990 à Neuchâtel, Suisse.


Il est un écrivain, dramaturge et peintre suisse de langue allemande.  Après un bref passage à l'université de Zurich, où il étudie la littérature allemande et la philosophie,  Dürrenmatt interrompt ses études en 1946. En effet, il hésitait entre devenir peintre ou écrivain et il décide de mettre fin à ses études sans même avoir commencé la thèse, sous l’impulsion de sa découverte du monde du théâtre qui lui permet justement à combiner l’écrit et le visuel. 


Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à 24 ans, il écrit sa première  pièce de théâtre Les Fous de Dieu, une comédie lyrique et apocalyptique qui  provoque un scandale après sa première, le 19 avril 1947, ce qui le rend célèbre bien au-delà des  frontières suisses, mais qui ne remporte pas le succès espéré. 

Les premières années en tant qu'écrivain indépendant sont difficiles sur le plan économique pour Dürrenmatt et sa famille composée de cinq personnes. Ce n’est qu’en 1950, Dürrenmatt écrit la comédie “Le Mariage de Monsieur Mississippi” avec laquelle il obtient son premier grand succès sur les scènes allemandes en 1952, après avoir été refusé par les scènes suisses. 


En 1956, il acquiert une renommée mondiale avec sa tragi-comédie La Visite de la vieille dame (cette pièce est l'adaptation d'une nouvelle écrite quelques années plus tôt, L'Éclipse de Lune).

La visite de la vieille dame” est une “tragi-comédie” en trois actes qui révèle à travers l'ironie, le grotesque et l'humour noir miroir du cynisme et du pessimisme de Dürrenmatt face à la société moderne.  


La pièce


Acte I


Des personnages illustres de la ville de Güllen se retrouvent à la gare où ils confectionnent avec beaucoup d’attention une banderole qui annonce « Bienvenue à Clairette ».

Pendant ce temps, nous apprenons que Güllen, autrefois un petit village d'Europe centrale prospère et rayonnant, est tombé dans une spirale de dettes depuis 1910, sans raison apparente.

Le chômage, la famine et la fermeture des entreprises ont plongé la ville dans la déchéance, laissant ses habitants désespérés face à un avenir incertain.



« On vit des allocations de chômage ; des soupes populaires.

On vit ?

On végète »  



Et voilà que Claire Zachanassian, la célèbre milliardaire, décide après 45 ans d'absence de revenir dans son village natal pour ce qui semble être une visite de courtoisie.


Le maire, l'adjudant, le peintre, le pasteur, le médecin, le proviseur, et Alfred Ill, le vieil épicier, qui semble être la personne la plus aimée et intègre de la communauté, attendent Claire Zachanassian dans l’espoir qu’elle fasse des donations à la ville pour la sortir de sa ruine.


Des chants de chœur, une fanfare municipale, des représentations sportives et un banquet sont quelques-uns des événements que la ville se prépare à offrir à Claire afin de célébrer son retour en grande pompe.


« Malheureusement nos finances

ne nous permettent pas d’illuminer la collégiale et l'hôtel de ville » 



Alfred Ill fait également partie de la ruse utilisée pour amadouer la richissime visiteuse et lui soutirer quelques millions. En tant qu'ex-fiancé de Claire Zachanassian, Alfred Ill semble être le mieux placé pour trouver les "mots justes".



« La milliardaire est notre seul espoir »  


Un rapide s'arrête en gare après que les sonnettes d'alarme aient été tirées. Ainsi apparaît Claire Zachanassian, qui arrive avant l’heure dans un rapide différent de celui qu’on attendait.

Tout le monde est stupéfait. La banderole n’est pas finie, la fanfare prévue n'est pas en place, personne n'est habillé. C’est le désespoir général.


Accompagnée de la presse, de son valet, de deux femmes et de son mari n°7, habillé comme un pêcheur à la ligne, Claire, âgée de 63 ans et richement vêtue, se dispute avec le chef de train, qui n'avait pas prévu de s'arrêter dans ce village.

Elle achète le chef de gare avec un billet de cent mille pour qu’il ne s’acharne pas contre elle et donne également 300 000 pour l'amicale des veuves des cheminots.


-« Madame, cette institution n’existe pas » 

-« Fondez- la ! »  


Quand le chef de gare apprend qui elle est, il lui offre un traitement tout différent et propose de l’attendre afin qu'elle fasse sa balade. Elle lui demande de partir.

Tout le monde est ridicule sauf Clara, solennelle. Chaque fois que quelqu’un essaie de dire ou de faire quelque chose de bien, il y a un train qui passe, tournant ainsi les derniers efforts des villageois en dérision.

Claire semble ne rien voir de la manipulation dont elle est victime.De leur côté, les villageois ne font pas attention aux excentricités de la vieille dame lorsque les répliques douteuses se succèdent et que ses bagages renferment des objets pour le moins étranges, comme un cercueil ou une cage contenant une panthère noire.


(gendarme) « Il se peut que la ville de Güllen ait bientôt besoin de vous »

(Claire) « Savez-vous fermer un œil de temps en temps ? » 

(gendarme) « Bien sûr Madame. Autrement, qu’est ce que je deviendrais a Güllen ? » 

(Claire) « Apprenez à fermer les deux » 


(Claire) « Savez-vous réconforter les mourants ? » 

(pasteur) « Je fais de mon mieux » 

(Claire) « Et les condamnés à mort ? » 

(pasteur) « La peine de mort est abolie dans notre pays, madame » 

(Claire) « On la rétablira peut être » 


Rapidement, Clara et Alfred se retrouvent. Et aussitôt dit, aussitôt fait, Ill lui rappelle le temps passé en sa compagnie et les surnoms qu'ils se donnaient : « mon petit chat sauvage », « ma petite sorcière ».


« Je désire faire un pèlerinage avec Alfred aux lieux privilégiés de notre vieil amour »


La visite de Güllen se poursuit pour Ill, Claire et ses domestiques, qui portent en tout temps le cercueil et la cage de la panthère noire.

Dans la grange à Colas, dans la Forêt de l'Ermitage, ils passent en rétrospective leur ancien amour et leur vie passée loin l'un de l'autre.

La romance règne.

Nous apprenons que malgré leur romance passée, alors qu'elle avait 17 ans et lui 20, Alfred finit par épouser une autre femme. Il s’excuse en disant que s’il a épousé une autre personne que Clara, c'était pour son bien, pour lui assurer un futur digne.


(Alfred) « L’avenir t’appartenait » 

« le principal c’est que tu sois heureuse » 

(Clara) « Le monde m’appartient » 


 C’est alors que Claire annonce à Ill qu'elle aidera la ville en lui offrant des centaines de millions. 


Alfred dit qu’il l’aime.

Güllen semble sauvée.



A l’auberge l'Apôtre Doré, toute la ville semble invitée. Clara retrouve la femme du maire ainsi que la femme de Ill, tout comme le médecin.


(Clara) « Vous délivrez les certificats de décès ? »

(Alfred) « Les plaisanteries de Clara, ça vaut de l’or.

Elles me font mourir de rire » 


Le maire fait un discours en l'honneur de Claire. Il cite les parents de Claire et ses "exploits", mais il se ridiculise car il ne sait rien sur Clara. Alfred Ill doit lui souffler à l’oreille.

Soudain, son père alcoolique devient un ingénieur brillant et populaire, ses résultats insuffisants sont transformés en performances étonnantes, et ses actes de vandalisme sont masqués en actions humanitaires.


« Clairette avait la passion de la justice. Une fois on avait arrêté un  vagabond : 

elle a attaqué le gendarme a coup de pierres » 

« d’une bonté ! Elle partageait tout. Un jour elle a volé des pommes de terres 

pour une pauvre vieille » 


C’est alors que Claire annonce la bonne nouvelle : 


« Je suis prête à faire à Güllen cadeau de cents milliard.

Cinquante pour la ville et cinquante pour se répartir entre tous les habitants » 


Mais à une condition  :


« Je vous donne cent milliards et pour ce prix je m'achète la justice » 


Quand les villageois lui disent qu’on ne peut acheter la justice, Clara demande à son valet de chambre Boby de révéler son identité : celui qui était autrefois président du tribunal de Güllen.


On nous fait part d’une histoire datant de 1910. Clara, à l'époque, accusait Ill d'être le père de son enfant.


(valet) « Vous avez récusé cette paternité et vous avez produit deux témoins » : Koby et Loby,

autrefois Jakob Huhnlein et Ludwig Sparr.

Ils ont témoigné qu’ils ont couché avec Clara sous la demande de Alfred

en échange d’un litre d’eau de vie. »


 « Voilà l’affaire : un juge, un prévenu, deux faux témoins et une erreur judiciaire en 1910 :  je demande à la plaignante si c’est bien cela » 


Nous apprenons que l’enfant avait vécu 1 an et Clara a du devenir une putain parce que le tribunal l’avait marquée.  


« Cent milliards pour Güllen si quelqu’un tue Alfred Ill » 

« Tu as choisi ta vie et tu m’as imposé la mienne »  


Le maire refuse catégoriquement


« Nous préférons rester pauvres plutôt que de nous couvrir de sang »  


 Elle répond tranquillement : « J'attendrai. »



Acte II 


Quelques jours après, Alfred Ill se sent plus aimé et soutenu que jamais, si bien qu'il ne s'inquiète pas lorsqu'il aperçoit les domestiques de Claire apporter des couronnes de fleurs au cercueil entreposé à l'Apôtre Doré. Dans son épicerie, les clients habituels en profitent pour manifester leur solidarité auprès du commerçant.


« On vous soutient. Notre Ill peut compter sur nous »

 « Tu est la personnalité la plus aimée de la ville » 


Cependant Alfred remarque que la consommation des ses visiteurs a changé et qu’ ils emportent tout à crédit.De plus, ils portent des nouveaux souliers jaunes.


« Hellmesberger, tu as des souliers neufs » 

« Comment avez vous pu acheter des souliers neufs ? » 


« Du lait entier, du Prince Albert, du cognac. Avec quoi vous paierez ? » 

« Hellmesberger m’a pris du cognac. Avec ça, il y a des années qu’il n’a pas gagné un sou. 

Il vit des soupes populaires »  



Méfiant, Ill se rend alors à la police pour exprimer ses craintes face à la menace qui pèse sur lui. Il demande l’arrestation de Claire 


« Elle pousse les gens de cette ville à me tuer »


« Toute la ville fait des dettes. Avec les dettes le bien être augmente ; et avec le bien être, la nécessité de me tuer. 

Comme ça la dame n’a plus qu'à rester assise sur son balcon, à boire du café, fumer des cigares et à attendre » 


Mais l'adjudant feint de ne pas comprendre ce qu'Alfred reproche à la vieille dame. Pour lui, cette proposition n'avait rien de sérieux et si les clients consomment plus, on ne peut que s'en réjouir. Mais le vieux commerçant ne l'entend pas de cette oreille


(l'adjuvant) « La police est là pour faire respecter les lois (…)

que l’ombre d’une menace surgisse n’importe où, de la part de qui que ce soit,

elle interviendra Monsieur Ill. Comptez -y » 

(Alfred) « Toujours est-il que vous avez une nouvelle dent en or Monsieur » 


L’adjudant met fin à la discussion et part à la recherche de la panthère de Claire qui s’est échappée.

Alfred se rend donc chez le maire, mais une fois de plus, il n'est pas entendu. 


« Nous ne méritons pas votre ingratitude. Je vous plains si vous avez perdu confiance en notre municipalité » 


Quand Ill demande l’arrestation de Claire, tant le maire que le gendarme répondent « c’est curieux » et finalement, le maire finit par se retourner contre Alfred, son ancien protégé et candidat à la mairie  


« Il n’est plus question de vous pour la mairie »

« Nous refusons cela va de soi la proposition de la dame ; mais la proposition a été motivée par vos crimes, nous ne les approuvons pas non plus » 

« En fin de compte vous avez poussé deux garçons au parjure et vous avez réduit une jeune fille à la misère noire » 


Alfred remarque également que le maire possède des ​​nouvelles chaussures jaunes, une nouvelle cravate en soie, des machines a écrire et a des plans pour renouveler l'hôtel de ville.


« La prospérité me menace »


Finalement, Alfred se rend chez le pasteur qui lui reproche également ses péchés et lui fournit une explication spirituelle à son mal-être.


« Vous avez trahit une jeune fille par amour de l’argent ;

vous en concluez naturellement que les hommes sont prêts à vous trahir

aussi pour de l’argent » 


Une nouvelle cloche sonne du haut du clocher


« Sauve toi ! » lui crie le pasteur soudain pris de remords


« Nous sommes tous faibles, chrétiens ou incrédules.

Sauve toi, la cloche bourdonne sur Güllen, c’est la cloche de la trahison.

Va t' en ! Ne reste pas, ta présence nous induit en tentation » 


Alors pris de panique, Alfred s'enfuit lorsque la panthère noire est abattue devant son propre magasin...

“Ma panthère noire” étant le surnom que Claire avait donné à Alfred autrefois.


Alfred veut partir. Avec sa valise, il se dirige vers la gare. 

La foule l’accompagne de façon calme et amicale. Ils tentent de le convaincre de rester, lui disent que c’est dans sa ville qu’on est le mieux protégé. 


« Votre méfiance est incompréhensible »


Au loin, on entend les constructions dans la ville. Le train arrive mais ils se pressent tous sur Ill, le retenant malgré eux mêmes.


Le train part. 

Effondré sur le quai, Alfred hurle: « Je suis perdu ! »


Acte III 


Suite au mariage de Claire.

Dans la Grange à Colas, la milliardaire s'est réfugiée pour échapper à l'agitation journalistique provoquée par son neuvième mariage.


Le proviseur et le médecin, habillés de façon bourgeoise, rendent visite à Claire, qui est habillée en mariée malgré le fait qu’elle vient tout juste de divorcer de son nouveau mari.


« Hoby ? Je l’ai renvoyé à Hollywood avec sa jaguar (…)

mes avocats demandent le divorce » 

« C'est le plus court de mes mariages sauf un.

Avec Lord Ismaël, cela m’a pris encore moins de  temps » 


Ils s’inclinent devant elle.  Ils veulent détourner Claire de sa demande meurtrière et la convaincre d'acheter les usines Wagner, les laminoirs et les forges, d'investir pour les faire travailler et ainsi reprendre la prospérité.


« Il nous faut du crédit, de la confiance et des commandes »

« Achetez-les, renflouez-les et Güllen retrouvera sa prospérité (…)

il convient de faire le placement raisonnable et rentable de quelques centaines de millions;

pas de gaspiller cents milliards »

« Nous ne demandons pas l'aumône, nous proposons une affaire » 


Claire avoue finalement qu’elle a déjà tout acheté plusieurs années auparavant afin de provoquer volontairement la ruine de la ville en guise de vengeance.


(le proviseur) « Vous êtes une femme blessée dans son amour

et vous exigez la justice absolue.

A mes yeux vous êtes une héroïne antique. Une Médée ! (…)

Quittez votre terrible projet de  vengeance ; ne nous poussez pas à la dernière extrémité.

Nous sommes pauvres et faibles mais honnêtes.

Aidez-nous à mener une vie plus digne.

Faites triompher en vous la pure charité » 


A ce que Claire répond, insensible aux demandes des deux hommes :


« Le monde a fait de moi une putain ; 

je veux faire du monde un bordel » 


Cette phrase nous fait penser à une citation de Alfred dans le film Batman "The Dark Knight" de Christopher Nolan. Alfred dit à Bruce Wayne, en faisant référence au Joker “Certains hommes veulent simplement voir le monde brûler”

Elle illustre la vision nihiliste et anarchique du Joker, qui cherche à semer le chaos et la destruction sans motivation rationnelle.

Le joker de son côté exclame “Introduisez un peu d'anarchie. Dérangez l'ordre établi, et tout devient chaos. Je suis un agent du chaos. Oh, et vous savez ce qu'il en est du chaos ? C'est juste !”



Dans l'épicerie, renouvelée depuis que Mathilde Ill a repris les rênes pendant qu'Alfred s'est reclus à l'arrière du magasin, on peut sentir un changement.


« Tout est propre chez nous maintenant, appétissant, moderne !

J’ai toujours rêvé d’un magasin comme ça » 


Le peintre vient donner à la femme de Ill un portrait de celui-ci.  


« Alfred se fait vieux : on ne sait pas ce qui peut arriver » 


Bizarrement naïve, Mathilde dit qu'Alfred ne sort plus de chez lui et qu’elle ne comprend pas la raison. Quant au peintre, elle dit qu’elle ne peut pas payer ce prix, mais celui-ci répond qu’il attendra.


Des journalistes arrivent dans l’épicerie. Ils interrogent Mathilde sur le triangle amoureux du passé entre elle, Claire et Alfred. Ils finissent par déclarer qu'Ill s’est marié avec Mathilde pour son argent (elle possédait l'épicerie) et que Claire leur a laissé la voie libre « avec la sérénité et la noblesse qu'on lui connaît ».


Tout Güllen s'y retrouve pour fêter le milliard hypothétique.

Ils s'accordent sur le fait qu'il ne doit être prononcé aucun mot sur toute cette affaire, sous peine de voir la presse éclabousser un scandale dans les tabloïds du monde entier.

Cependant, le proviseur, éméché par l’alcool, ne tient pas sa langue et déclare vouloir avouer la vérité aux journalistes.


« Tu devrais avoir honte, femme !

Car tu t'apprêtes à trahir ton mari » 



Les gens se balancent sur lui pour le faire taire.


Alfred rentre.  


Les journalistes demandent à Alfred de poser pour la caméra et de jouer une scène de vente d’une hache. L’ensemble de la famille Ill pose pour la caméra.

Satisfaits, ils partent pour photographier Claire avec son tout nouveau fiancé pour la couverture du magazine.



Ainsi, Alfred apprend que sa fille joue maintenant au tennis « au lieu d’aller au bureau des placements», son fils a acheté une voiture et sa femme a emprunter un manteau à fourrure. 

Le proviseur continue avec ces accusations envers la communauté, effrayé du destin inévitable et la fatalité qui s'apprête à tomber sur Güllen


« Il fallait vous enfuir, l’autre jour à la gare.

Nous vous aurions laissé filer.

Nous n'étions  pas encore mûrs pour agir. Mais maintenant ?

ces cents milliards honteux nous brûlent le cœur » 


« On vous tuera.

Je le sais depuis le début, vous aussi vous le savez depuis longtemps ;

même si personne d’autre à Güllen ne veut se l’avouer.

La tentation est trop forte et notre misère trop amère.

Mais je sais encore davantage : je serais complice.

Je sens que je me transforme lentement en  assassin » 


Il demande à Alfred d’alerter la presse.

 Celui-ci refuse et dit que tout est de sa faute. Il a perdu espoir. 


Le maire arrive pour informer à Ill que le village va se réunir à la salle de fêtes de l'Apôtre Doré : « Nous examinerons votre cas. On nous force la main ».

Mais le maire demande à Alfred s’il subira la sentence si le village se tourne contre lui.

Alfred confirme qu’il l’acceptera.


« Je suis heureux que vous vous soumettiez au jugement de vos concitoyens.

Il vous reste une lueur du sentiment de l’honneur »


Finalement le Maire propose à Ill de mettre fin à ses jours lui-même  avec l'arme qu'il lui a apportée afin de ne pas condamner les villageois à l'assassinat.

Bien que convaincu de sa mort prochaine, Alfred refuse catégoriquement l'offre du maire. Il explique que ce sont désormais les villageois, tous ses anciens amis et même sa famille, qui sont responsables de son sort, et ils le seront jusqu'au bout. 


« Vous devez être mes juges. Je me soumettrais à votre jugement »

« Vous pouvez me tuer ; je ne me plains pas, je ne proteste pas, je ne me défends pas.

Mais je ne  peux pas vous décharger de votre acte » 

 

La femme et la fille d’Alfred rentrent en scène richement vêtues. Ils annoncent qu’ils vont tous faire un tour de voiture, une voiture tout juste achetée. Alfred demande de les accompagner comme dernier désir avant sa mort.

De cette façon Alfred réussit à voir une dernière fois l’ensemble de la ville de Güllen, maintenant renouvelée et restaurée grâce à la promesse de sa prochaine mort.

Ill descend de la voiture pour faire un tour en ville à pied avant l'assemblée. Sa femme accepte et demande à son fils d’aller au cinéma en laissant seul leur père et mari.


Dans la forêt de l'Ermitage, Alfred et Claire se retrouvent une dernière fois, accompagnés de ses porteurs et de son mari numéro 9.


« Alfred ! Quelle joie de te rencontrer.

Je visite ma forêt »  


Leur discours rappelle celui du premier acte. Ils parlent de leur enfant, Geneviève, morte d’une méningite, avec la musique de violon de Roby en accompagnant leurs souvenirs. 

Alfred, résigné et humble, finit par remercier Claire pour ses précautions pour son futur funérailles dans une scène comique et absurde.


(Alfred) « Je te remercie pour les couronnes » 

(Claire) « Je te ferais transporter dans ton cercueil jusqu’à Capri. 

J’ai fait ériger un mausolée dans le parc de mon palais » 


Dans l'Apôtre Doré, la conférence a enfin lieu.

Tous les habitants y sont conviés ainsi que les représentants des journaux du monde entier. Tout le monde s’y trouve sauf Claire. Le maire et le proviseur tiennent tous deux un discours proclamant la mort d'Ill et le rétablissement de la justice à Güllen. Mais il est impossible, d'un point de vue extérieur, de comprendre de quoi parlent les deux hommes, et les journalistes croient qu'il ne s'agit que de l'annonce d'un généreux don de la part de la vieille dame.


« Je ne sous estime pas les misères et les maux qu'entraîne la pauvreté

et je reconnais pleinement les  possibilités matérielles que nous offrent ces cent milliards,

mais pour nous ce n’est pas une question d’argent.

Il ne s’agit pas de notre prospérité, de notre confort et de notre luxe ;

mais uniquement de savoir si nous voulons réaliser la justice, et pas seulement la justice ;

mais en même temps tous les idéaux pour lesquels nos aïeux ont vécu et combattu

et pour lesquels ils sont morts »


Après un vote rapide, Alfred Ill est condamné à mort.

Vote qui sadiquement doit être rejoué pour les caméras.


« Une mer compacte de mains levées comme pour une formidable conjuration

en vue d’un monde  meilleur et plus juste » 


Tout le monde sort pour prendre une collation avant la fatalité.

Ill reste avec l'adjudant, le maire et le pasteur qui veut lui donner l’absolution avant sa mort. Ill refuse et demande plutôt qu’il prie pour Güllen.

En guise de dernier souhait, une cigarette. Sa manière de profiter lui aussi des avantages de sa propre mort.


Alfred entre dans la haie, elle se referme sur lui.

Il meurt sans que nous sachions exactement comment. 

Les journalistes arrivent peu après, laissant juste le temps aux autres de s'écarter et aux médecins de diagnostiquer une « crise cardiaque ».


« Une attaque  

il a dû mourir de joie » 


Claire arrive.

Elle reconnaît le cadavre et demande à Roby et Toby de le mettre dans son cercueil. Avant de partir, elle donne le chèque au maire.


Elle sort pendant que le chœur chante.



Analyse des personnages


Dans la pièce, bien que de nombreux personnages soient présents, cette analyse se concentre principalement sur les personnages de Claire et Alfred.

Les autres personnages, malgré leur profession ou leur rôle dans la ville de Güllen, ne sont pas développés individuellement et agissent souvent comme une force collective. Ils représentent davantage un ensemble de voix et de perspectives dans le récit plutôt que des personnages individuels avec une personnalité distincte.

En revanche, Claire et Alfred sont les principaux moteurs de l'intrigue, et leur relation passée ainsi que leurs actions présentes façonnent le drame qui se déroule à Güllen.


Claire : 


Claire Zachanassian, autrefois connue sous son nom de jeune fille Clara Waschner.

Pauvre, issue d’un milieu familiale compliqué (un père alcoolique) et mauvaise élève, à 17 ans elle avait une réputation de jeune femme rebelle qui refuse l’autorité et la hiérarchie. Elle est anxieuse et méfiante, malicieuse et hautaine et se plaît à vivre en dehors des normes établies.


« J’ai été battue à l’école.

Et les pommes de terre de la vieille Boll, je les ai volée avec Ill pour complice,

pas du tout pour éviter à la vieille maquerelle de crever de faim 

mais pour coucher enfin avec Alfred dans un vrai lit » 


ou comme l’aurait décrit Alfred lui-même :


« Une vraie petite sorcière, diablement belle.

Mince, souple comme un épi, et tendre »


Trompée par son ancien amour, Alfred Ill, qui a nié l’avoir mise enceinte et a répandu la rumeur de ses coucheries avec d’autres hommes du village, Clara a été dénigrée et forcée à quitter Güllen.

Contrainte à une situation précaire, elle a dû devenir prostituée pour survivre.

Cette trahison et le rejet de la société ont profondément marqué Clara.

Une fois son enfant né, elle fut contrainte de le confier à des sœurs religieuses. Malheureusement, l'enfant mourut peu de temps après sa naissance, ajoutant à la tragédie de Claire. 


Par la suite, au cours de sa vie, elle rencontra trois hommes riches, Zacharoff, Onassis et Gulbenkian, avec qui elle se maria successivement (son nom de famille Zachanassian est un nom composé sur ceux de ses 3 ex-maris). 

Son premier mari, le milliardaire Zacharoff, un magnat du pétrole, l’a rencontrée dans un bordel à Hambourg et a fini par l'épouser. 


« Il connaissait toutes les diableries.

Tout ce que je sais me vient de lui » 

 

Ensuite, elle enchaîna de maris “comme on change de chemise” qu’elle finissait par divorcer assez rapidement tout en leur enlevant leur fortune.

Propriétaire de Western Railways, ministre des affaires étrangères, designer de renom, lord, chirurgien… tous contribuèrent à construire son immense fortune.



Claire revient à Güllen quarante-cinq ans après son départ, à l'âge de 62 ans, prête à se venger de l'homme qui a déterminé toute son histoire : Alfred. Cependant, sa vengeance ne se limite pas à simplement tuer ou torturer Alfred, comme elle l'a déjà fait à d'autres personnes par le passé. Au contraire, sa vengeance est universelle et intemporelle et elle retombe sur l’ensemble de la ville de Güllen. 

Pendant des années, Claire contribue à la ruine de la ville en achetant et en fermant une à une toutes les usines, provoquant ainsi le chômage, la famine et le désespoir parmi les habitants. Avec cette stratégie, elle sait que les villageois, fragiles et vulnérables, seront susceptibles d'accepter de tuer Ill afin d’assurer leur survie.

Claire, qui a dû endurer des épreuves difficiles pour assurer sa propre survie dans le passé, utilise maintenant son pouvoir et sa richesse pour infliger la même douleur et le même désespoir à ceux qui l'ont autrefois rejetée et humiliée. 


« Ton amour est mort il y a longtemps , le mien n’a jamais pu mourir.

Il est devenu quelque chose de maléfique (…)

Mon or a tout envahi, mes milliards te saisiront aussi avec leur tentacules pour chercher ta vie,

parce qu'elle m'appartient pour l'éternité.

Tu es pris, tu es perdu. Il ne restera bientôt plus qu’un amant mort dans mon souvenir,

un tendre fantôme dans une maison en ruines » 


Nous pouvons certainement essayer de comprendre la psychologie complexe et les démarches de Claire en tenant compte de son passé difficile et traumatisant.

En tant que jeune femme pauvre et sans éducation, Claire était déjà confrontée à de nombreux obstacles dès son plus jeune âge. Son manque de soutien familial et de protection masculine (dans une société où cela était souvent nécessaire pour survivre) l'a laissée particulièrement vulnérable. À l'âge de 17 ans, elle a été trahie, abandonnée et contrainte à vendre son corps pour subsister. Ces expériences traumatisantes ont nourri en elle une haine sans mesure. 


Par contre nous devons souligner que Claire développe des sentiments de haine et de rancune depuis son plus jeune âge. Il est clair que les racines de ses émotions toxiques résident dans son passé tumultueux et douloureux. La haine que porte Claire envers le genre masculin semble être un trait de sa personnalité depuis bien avant son expérience avec Alfred, probablement influencée par son père alcoolique qui la battait.

Les traumatismes et les abus subis dans son enfance ont probablement contribué à façonner sa perception du genre masculin et à nourrir un profond ressentiment envers les hommes en général. L'expérience avec Alfred a peut-être simplement exacerbé les sentiments de méfiance et de mépris envers les hommes, plutôt que de les créer.


« Quand j'étais gosse je restais des heures assise sur ce toit et je crachais,

mais seulement sur les hommes »  


Armée de sa fortune et de sa rancune, elle se retrouve à un moment de vie où elle est toute puissante, personne peut la contredire et sa volonté s’applique sans que personne puisse s’opposer à elle…Et sa vengeance s’applique notamment sur l’ensemble des hommes.


Tels est l’exemple de sa suite :

Son homme de chambre, ses valets, ses maris …

Elle appelle les personnes qui constituent sa suite comme elle le souhaite. Ils se retrouvent sans autre identité que celle décidée par la vieille dame. Ils n’ont ni pouvoir ni volonté face à elle.

En assignant des identités et des rôles à ses accompagnateurs selon son bon vouloir, Claire exerce un contrôle total sur leur existence, les réduisant à de simples pions dans son jeu de vengeance. 


Boby : son valet de chambre; Koby et Loby, deux bonshommes aveugles et eunuques; Roby et Toby deux balèzes qui la portent sur sa chaise; Moby : son Mari no 7.


« Son vrai nom c’est Pedro mais Moby fait mieux. 

Surtout cela rime avec Boby.

Un valet de chambre se garde toute une vie,

c’est sur son nom qu’il faut régler celui des maris » 


Mais de même, nous savons qu’elle les a fait torturer dans le passé. Tel est le cas de Koby et Loby : les deux anciens habitants de Güllen qui avaient prêté de faux témoignages lors de son procès contre Alfred. Des années après, Claire les chassa et les rendit aveugles et eunuques.


Le valet de chambre, Boby, était anciennement le juge du procès. 


Elle méprise tous les hommes, elle se montre prépotente, hautaine, capricieuse, humiliante et manipulatrice.


« Va réveiller le nouveau »

« Viens dire bonjour » 

« Les pensées ne sont pas ton fort »

« Moby, réfléchis ! Plus fort ! Encore plus fort ! »


« Le président de la banque international. Il vient d’arriver de New York par avion »

(Clara) « Je n’y suis pour personne. Qu’il reprenne son avion »  


De même, la relation de Claire avec ses maris illustre son approche pragmatique et utilitariste du mariage. Pour elle, les unions matrimoniales ne sont pas fondées sur l'amour ou le respect mutuel, mais plutôt sur des considérations financières et économiques. Elle voit ses mariages comme des transactions commerciales, des moyens d'accroître sa richesse et son pouvoir. Sa propension à se marier et à divorcer rapidement témoigne de sa volonté de maximiser ses gains financiers tout en évitant les liens émotionnels ou les compromis personnels.

Elle utilise les hommes comme des outils pour atteindre ses objectifs financiers, puis les abandonne dès qu'ils ne lui sont plus utiles.Le fait qu'elle ne montre aucune considération pour ses maris, à l'exception possible du premier, renforce l'image d'une femme impitoyable.


« Mon mari aussi sera surpris.

J’épouse un acteur de cinéma »


« Maudite vieille, cette caricature indécente de la justice, 

cette archi-putain qui change de maris devant nous comme de chemise 

et qui est en train de s’emparer de nos âmes l’une après l’autre » 


Le personnage de Claire est simple.

Sa psychologie, ses désirs et ses objectifs de vie sont faciles à comprendre puisqu’elle les expose très rapidement.

Ce n’est pas un personnage sournois et mystérieux.


Par contre, c'est un personnage mythique rempli de symboles.

Elle représente la justice, mais une justice impitoyable et vengeresse. Son retour à Güllen et sa quête de vengeance contre Alfred Ill incarnent la notion de la justice immanente, où les actions passées ont des conséquences inévitables et inéluctables.

De plus, Claire symbolise également la fatalité et le destin. Son arrivée à Güllen semble sceller le sort de la ville, précipitant sa chute inexorable. Son influence sur les événements qui se déroulent dans la pièce semble transcender le simple hasard, suggérant plutôt une force supérieure qui guide les destinées des personnages.


Le proviseur dit qu’elle ressemble à une parque (déesse de la mort)


« Au lieu de Clara, elle devrait s’appeler Clotho.

On la croirait bien capable de couper le fil des vies humaines » 


Son physique qui lui donne un caractère “hors du monde” de par sa richesse, son allure, sa personnalité … et ses nombreuses prothèses.

D'une part, les prothèses peuvent être interprétées comme des symboles de son parcours de vie difficile et des épreuves qu'elle a traversées. Clara est une battante et une survivante, non seulement par rapport à son passé et les épreuves qu’elle a enduré mais également des accidents qu'elle a survécu . Elles représentent les blessures physiques et émotionnelles qu'elle a subies. Ces prothèses incarnent sa résilience et sa capacité à surmonter les obstacles, même les plus grands. 


« Je suis devenue vieille et grasse. Sans compter que ma jambe gauche s’en est allée …

mais la prothèse est impeccable »

« Suite d’un accident d’avion en Afghanistan » (la main de Claire est aussi une prothèse) 


D'autre part, les prothèses peuvent également être perçues comme des marqueurs de sa monstruosité et de son étrangeté.

Elles accentuent son apparence excentrique et hors du commun, la distinguant nettement des autres personnages de la pièce. Cette monstruosité physique peut refléter sa nature intérieure, sa vengeance implacable et son absence de compassion envers ceux qui ont causé sa douleur et son humiliation dans le passé.


Nous pouvons la comparer au monstre de Frankenstein : une créature faite de cadavres, rejetée par son créateur horrifié par son apparence hideuse. Dans l’histoire de Mary Shelley, le monstre, obligé de vivre sans amour par son créateur, mène envers Frankenstein une quête de vengeance redoutable. 

La comparaison avec le monstre de Frankenstein met en lumière le thème de l'aliénation et de l'isolement, ainsi que la question de la responsabilité morale et de la nature humaine. Comme le monstre, Claire est une figure tragique, condamnée par ses propres actions et par la société qui la rejette. 


Quand Alfred lui demande “Es-tu toute artificielle?” nous pouvons en conclure que oui : Claire est sans cœur et sans sentiments honorable.


Claire ne recherche ni l’amour, ni la compassion, ni l’empathie. Son argent lui permet de s'offrir “la justice” qu’elle désire et pour laquelle elle est prête à tout.


Mais, parallèlement, lors de la pièce, Claire reste toujours légère.

Elle n’est jamais grave ni lourde, elle sait que tôt ou tard elle aura ce qu’elle désire. Elle démontre parfois un caractère légèrement enfantin et drôlement, fleur bleue (qui contraste avec la gravité de ses intentions).

Cela pourrait refléter, d’un côté, une forme de détachement de la part de Claire, résultant de son assurance dans la réalisation de ses plans. Ou d’autre part, sa légèreté peut également être perçue comme une tentative de se réapproprier sa jeunesse perdue. Malgré sa richesse et son pouvoir, elle conserve peut-être un désir inconscient de retrouver une innocence et une insouciance qui lui ont été enlevées. Et même, de chérir son amour perdu avec Alfred, qui malgré sa trahison, fut “l’homme de sa vie”.

Quelle que soit l'interprétation, cette dualité dans le caractère de Claire Zachanassian ajoute une dimension supplémentaire à son personnage et contribue à rendre la pièce plus riche et plus intéressante pour le public.


« Parle moi de moi (…)

Dis moi comment j'étais quand j’avais 17 ans et que tu m’aimais » 



Alfred


Alfred est le seul personnage à avoir une évolution dans la pièce.


Au début nous apercevons un homme assez âgé, père de famille, un commerçant respecté, bien aimé par ses concitoyens (il est élu pour être le prochain maire de la ville).

Nous pouvons déduire une personnalité un peu orgueilleuse (bien décalé en tenant en considération la situation économique de la ville et des habitants)


« Trimer sur la voie en plein soleil ce n’est pas une occupation pour mon fils »  


et il n’hésite pas à jouer la comédie avec Claire en faisant renaître un amour mort il y a bien longtemps afin de la manipuler pour lui faire investir dans la ville.


 « C’est la vie qui nous a séparés » 


En apprenant sa condamnation à mort, nous avons une vision de la personnalité d' Alfred il y a quelques années.

A 20 ans, Alfred partageait certaines similitudes avec Claire : rebelle, non conformiste et insouciant des conséquences de ses actes. Sa complicité dans les farces de Claire démontre son inclinaison à braver les normes sociales et à défier l'autorité établie.

De plus, sa réaction face à la grossesse de Claire, où il refuse de prendre ses responsabilités et la condamne sans hésitation, révèle un manque de maturité et de compassion envers autrui.


Par la suite, son mariage avec Mathilde, motivé par des considérations financières plutôt que par l'amour, met en évidence sa propension à rechercher la sécurité matérielle et le statut social.


Manipulateur, insensible, désintéressé et cupide, nous pouvons quasiment dire que le destin (ou le karma) le rattrape 60 ans après et le fait payer avec la même monnaie. 


Au fur et à mesure que l'intrigue progresse et que les véritables intentions de Claire deviennent évidentes, Alfred commence à perdre son assurance et son arrogance. Il est confronté à ses propres erreurs et à sa lâcheté passée. Cette confrontation avec sa propre culpabilité et la perspective imminente de sa propre mort le poussent à réfléchir sur sa vie et sur le sens de ses actions passées. Il réalise finalement l'ampleur de ses erreurs et le prix qu'il doit payer pour elles.

Il fait preuve d'une certaine forme de rédemption en refusant de se plier aux demandes de Claire et en acceptant son sort avec dignité.


« Nous sommes assis pour la dernière fois dans notre vieille forêt (…)

La commune se rassemble ce  soir. On va me condamner à mort et quelqu’un me tuera.

J’ignore qui ce sera et où cela se passera. 

Je sais seulement que j’arrive au bout d’une existence vide » 


Alfred fait preuve d'héroïsme et d’humilité en acceptant son destin. 

Il assume la responsabilité de son crime et sa sentence. Il gagne en stature à nos yeux grâce à cette transformation. Il rejette également l'offre de suicide de la ville afin que celle-ci soit mise face à ses responsabilités tout comme lui.


Alfred Ill est un homme qui commence par être aveuglé par son propre orgueil et sa vanité, mais qui finit par être confronté à la vérité de sa propre nature et à la nécessité de faire face aux conséquences de ses actions. Sa transformation tout au long de la pièce en fait un personnage complexe et profondément humain.


Ainsi, bien que leur parcours ultérieur les ait menés sur des chemins différents, Alfred Ill et Claire Zachanassian partagent tous deux un passé marqué par la rébellion, l'égocentrisme et le désir de manipulation. Cette mise en parallèle des personnages souligne les thèmes de la responsabilité, de la rédemption et de la nature humaine complexe explorés dans la pièce.


Alfred III est le seul personnage qui change et prend la responsabilité de sa vie… et de sa mort.



Analyse de la pièce : Quelle est la question que Dürrenmatt a voulu résoudre avec cette pièce ?


Comment l’espoir de la prospérité peut séduire les hommes à trahir leurs valeurs? 

Comment l’argent achète la morale ?


Avant d’analyser la pièce, il est important le contexte dans lequel l’auteur a vécu et dont il s’est inspiré pour l’écrire.

À la veille de la Première Guerre mondiale, l'Allemagne était la première puissance industrielle  d'Europe. 


A la fin de la première guerre mondiale, lors du traité de Versailles, l’Allemagne est considérée comme principale responsable de la guerre. A la suite de cela elle se retrouve en 1919 : 


  • Amputée de 15 % de son territoire et de 10 % de sa population au profit de la  France, de la Belgique, du Danemark, et surtout de la Pologne.

  • l'Allemagne doit livrer 5 000 canons, 25 000 avions, ses quelques blindés et toute sa flotte est strictement limitée.

  • Son armée est limitée à un effectif de 100 000 hommes et le service militaire est aboli. 

  • L'Allemagne doit payer de fortes réparations aux Alliés. Le montant à payer estimé après plusieurs évaluations est fixé  à 132 milliards de marks-or, (cours d'avril 2014, environ 1 420 milliards d'euros)

  • l'Allemagne est forcée de renoncer à son empire colonial. 

 

En 1922-1923, l'Allemagne a connu une très forte inflation. La hausse des  prix est vertigineuse. La monnaie ne vaut quasiment plus rien. Les commerçants doivent  changer les étiquettes de prix pratiquement à chaque heure, les salariés exigent d'être payés deux fois par jour, afin de faire le plus vite possible leurs achats avant que les prix n'augmentent encore. Il devient difficile de couvrir ses besoins alimentaires.

Le ravitaillement des villes devient très difficile car les agriculteurs refusent d'être payés avec du  papier monnaie, le troc réapparaît dans les campagnes. 


Non content de cela, en 1929 le krach de Wall Street entraîne une crise économique mondiale. 

Le taux de chômage atteint des niveaux vertigineux et la crise politique s’étend. 

Les frustrations et le traumatisme subis ont joué un  rôle non négligeable dans la politique européenne des décennies suivantes. Ces sentiments sont un bon support pour le développement des idées nationalistes véhiculées par la droite.

En Allemagne l'extrême-droite réclame haut et fort la révision voire l'annulation du diktat.Les adhésions au NSDAP (parti national-socialiste allemand des travailleurs (NSDAP ; « nazi » en abréviation) augmentent en la convertisant en 1932 en la première force politique du pays.


En janvier 1933 Hitler est élu au poste de chancelier avec la promesse de créer un nouveau régime, relancer l’économie, remettre de l’ordre dans la société en la centralisant et en instaurant un régime d’exception, et retrouver une crédibilité internationale en éliminant les conséquences du traité de Versailles.

Une volonté et des idéaux crédibles et nécessaires pour une société qui se retrouve face à leur seul espoir de survie et dignité.

 En septembre 1939 la deuxième guerre mondiale est déclarée. Six ans après, en mai 1945, l’armée allemande capitule.


À la fin de la guerre, « les destructions et les misères humaines de l'Allemagne en 1945 sont d'une ampleur indescriptible »

Les bombardements et les incendies ont détruit les grandes villes et plusieurs régions. 20 millions d’Allemands n’ont plus de logements. Les villes ne sont plus approvisionnées en eau, en gaz et en électricité.50 % du réseau de transports allemand est détruit, de même pour l’industrie (démontage de 1 800 usines). L'Allemagne doit payer des réparations et en 1947 l’inflation revient. 

De plus, l'Allemagne est occupée par les quatre puissances victorieuses (États-Unis, France, URSS et Royaume Uni), puis finalement partagée en deux États.

La guerre froide s’instaure peu à peu.

Les relations difficiles entre les États-Unis et l'Union soviétique tiennent à la nature même de leurs régimes politiques et des idéologies différentes qu’ils soutiennent. 

L’Allemagne voit ainsi son territoire divisé en deux : la RDA et la RFA.

Le mur de Berlin érigé en 1961 est le symbole du clivage idéologique et politique de l'époque qui a séparé physiquement la ville en Berlin-Est et Berlin-Ouest pendant plus de 28 ans, et a constitué le symbole le plus marquant d'une Europe divisée.

La guerre froide s’achève finalement en 1989 avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement des régimes communistes en Europe de l’Est.


Il est important de dire que la Suisse (pays de naissance de notre auteur) est restée neutre pendant la deuxième guerre mondiale.


La visite de la vieille dame est écrite en 1956.


Le propos de Dürrenmatt est limpide – montrer la fragilité de la moralité face au pouvoir de l’argent.


Le mot Güllen signifie par définition “excréments, engrais” en suisse.


Nous apprenons assez vite que celle-ci était une ville riche et prospère qui fit faillite soudainement sans que personne comprenne pourquoi.


« Goethe a passé une nuit ici 

Brahms a composé un quatuor 

Berthold Schwarz inventé la poudre » 


« Le seul plaisir qui nous reste : on regarde passer les trains » 

« Même les trains omnibus ne s'arrêtent plus » 


En parallèle avec le contexte historique allemand, Güllen se dresse comme sa contrepartie fictive.

Anciennement prospère, la ruine s’est posée sur elle et tous les habitants, désespérés, semblent accepter leur destin et attendre la mort, seule échappatoire de leur misère.


Dans ce contexte de pauvreté, de tristesse et de frustration arrive la vieille dame comme une lueur d’espoir pour rendre, avec son argent, une nouvelle vie économique à la ville.Claire (comparable même avec la figure d’Hitler) amène une lueur d’espoir : l’espoir de la richesse, de l’abondance et de la dignité.

Mais, ce que les habitants ignorent est que Güllen devient une sorte de microcosme où la vieille milliardaire a pris la place de Dieu. Elle impulse le pourrissement et l’avilissement en chacun avec une vengeance mijotée pendant de longues années.


Par définition, la justice est à la fois un idéal philosophique, une activité et une institution. Son rôle est de préserver la vie en société. À ce titre, la justice assure trois missions : protéger les plus vulnérables, juger les conflits et sanctionner les comportements interdits.


Le droit de la société qui consiste à garantir la liberté de chaque individu et qu’on appelle Justice ne peut se faire que si elle restreint la liberté de chaque individu (nécessaire au bon fonctionnement du groupe). A un concept global et logique de Justice s’oppose une justice existentielle et émotionnelle.

Donc tout le contraire des motifs de Claire Zachanassian.


Les raisons pour lesquelles elle demande la justice sont en effet justes : Alfred Ill, en manipulant des faux témoignages pour échapper à ses responsabilités paternelles, a causé à Claire des souffrances indescriptibles, y compris la perte de son enfant et la contrainte à la prostitution.

Ceci n’a pas été juste envers Claire.

Mais sa façon d’exiger la justice est encore pire que le sort qui lui as été donné.

En sentant qu’elle a été victime d’une injustice, elle prend le destin dans ses mains et applique sa propre notion de justice mais de façon si extrême qu’on oublie même la raison première qui l’a motivé à faire de la sorte.

Au lieu de recourir aux voies légales ou morales pour obtenir réparation, Claire choisit de se venger de manière cruelle et impitoyable. Sa soif de vengeance la pousse à manipuler la situation pour infliger des souffrances à toute la communauté de Güllen, bien au-delà de ce qu'Alfred Ill a personnellement causé.


Cette justice "existentielle et émotionnelle" s'oppose au concept plus rationnel et global de la justice, mettant en évidence les tensions et les paradoxes qui existent dans la quête de justice dans la société humaine.

La justice devrait être impartiale et équitable, et elle ne devrait pas être influencée par la richesse ou le statut social d'une personne. En théorie, cela signifie que toutes les personnes, quelles que soient leur richesse ou leur pouvoir, devraient être traitées équitablement devant la loi.Cependant, dans la réalité, il existe des cas où la richesse peut influencer le système judiciaire, que ce soit par le biais de la capacité à payer des avocats de haut niveau, à accéder à des ressources juridiques étendues ou même à corrompre des fonctionnaires, ou, dans le cas de la pièce, à corrompre toute une ville.

Dans le cas de la pièce, Claire Zachanassian utilise sa richesse et son pouvoir pour corrompre toute une ville et manipuler le système judiciaire local à ses propres fins de vengeance. Cette manipulation met en lumière les failles du système judiciaire et soulève des questions sur l'équité et l'impartialité de la justice lorsque la richesse et le pouvoir entrent en jeu.


En conclusion nous pouvons dire que la justice est relative et elle dépend des hommes qui font la loi. Mais les hommes sont corruptibles donc nous devons, en tant que citoyens, de manière personnelle, faire la différence entre “justice” et “lois”.Les lois, bien qu'elles soient censées garantir l'équité et la justice, peuvent être détournées ou manipulées en fonction des intérêts particuliers et des motivations personnelles.

Claire Zachanassian dans la pièce illustre parfaitement cette idée. En utilisant sa richesse et son pouvoir, elle expose l'hypocrisie et la corruption morale qui peuvent exister au sein de la société. Elle met en lumière comment l'appât du gain peut corrompre même les personnes les plus respectées et les plus dignes de confiance, remettant en question les notions traditionnelles de justice et de moralité.

Ainsi, la pièce soulève des questions importantes sur la nature humaine, la société et le fonctionnement de la justice, invitant le public à réfléchir à ces concepts fondamentaux et à remettre en question les normes établies.


Mais, et si finalement, le personnage principal de la pièce n’était pas Claire Zachanassian ou Alfred Ill mais les habitants de Güllen ?

Au début de la pièce, les habitants de Güllen, initialement fermes dans leur refus de céder à la demande de Claire, sont peu à peu séduits par la promesse de richesse et de prospérité qu'elle offre.

C’est là où le contexte prend toute son ampleur et importance.La ruine et la désolation économique de Güllen sont trop pesantes.

De plus, Claire les manipule et distribue progressivement de l'argent aux habitants pour qu’ils goûtent au bonheur et la promesse de la prospérité. Ceci a certainement affaibli leur résistance. Cela aurait été plus facile pour eux de résister à la vieille dame si celle-ci n'avait donné l'argent qu'à la mort d'Alfred, comme promis. Ils n'auraient probablement pas agi.Mais ils sombrent peu à peu sans même s'en rendre compte et ceux qui sont conscients de la manipulation se déclarent malheureusement trop faibles pour résister.


« Au nom de la collectivité, par amour pour votre patrie ? 

Vous connaissez notre misère, notre dénuement, 

vous savez que nos enfants meurent de faim ... » 


Ils sont confrontés au choix entre céder à la tentation de l'argent et sacrifier leur intégrité morale en tuant Alfred, ou résister à la corruption et préserver leur conscience même si cela signifie maintenir leur situation économique précaire. C'est un conflit entre la nécessité économique et la responsabilité éthique, entre le bien-être matériel et la dignité humaine.

Au fur et à mesure, ils trouvent des excuses à leur façon d'agir et de penser, certaines bien fondées et d'autres mal fondées, pour finalement passer à l'acte et donner la mort à Alfred.


C'est l’histoire d’une communauté qui cède peu à peu à la tentation... mais cette cession est compréhensible.

La tentation est trop grande, la pauvreté est trop amère.


“La prospérité me menace”


L'espoir de prospérité et d'abondance est un moteur puissant pour de nombreuses personnes à travers le monde. Cet espoir les pousse à travailler, à investir dans leur éducation et leur carrière, à entreprendre des projets et à prendre des risques calculés pour améliorer leur situation financière et leur qualité de vie.

Cependant, il est important de reconnaître que la quête de prospérité et d'abondance peut parfois conduire à des défis et des dilemmes éthiques. Par exemple, certaines personnes pourraient être tentées de prendre des raccourcis ou de compromettre leurs valeurs morales pour atteindre leurs objectifs financiers. 

Dans l'idéal, la poursuite de la prospérité et de l'abondance devrait être équilibrée avec des valeurs telles que l'intégrité, la compassion et la responsabilité sociale. Cela implique de rechercher le succès tout en respectant les droits et le bien-être des autres, en contribuant positivement à la société et en maintenant un équilibre sain entre les aspects matériels et non matériels de la vie.

Mais comment garder des valeurs éthiques et morales quand la survie est menacée?Ferions-nous les choses différemment à leur place?

Lorsque la pièce a été écrite, le monde était au bord du désastre et chaque ville était un Güllen.

La question de savoir comment un homme peut conserver ses idéaux face à une pauvreté écrasante reste toujours d’actualité.


À la fin de la pièce, avec Alfred mort et le chèque de Claire dans la main du maire, « l'ordre » et la « communauté » sont rétablies, mais maintenant le public sait que ces idées sont fausses et hypocrites. 

Comme l'écrit Peppard : « Dans la scène finale, les citadins apparaissent autant esclaves qu'au début; s'ils ont d'abord été victimes de la pauvreté, ils sont maintenant les captifs de la prospérité.”


Même si la survie matérielle est assurée pour les habitants de Güllen à la fin de la pièce, leur conscience morale est gravement compromise par leur participation à l'exécution d'Alfred. Cela soulève des questions profondes sur les priorités de la société et les coûts humains de la prospérité économique.

Ils porteront a jamais le sang d’un concitoyen bien-aimé dans leur mains.


Dans La Visite de la vieille dame, Dürrenmatt écrit une tragi-comédie comme réponse aux anciennes questions d'honneur, de loyauté et de communauté. 


Nous pouvons finir cette analyse en faisant ressortir une autre question qui a été traitée en filigrane dans la pièce : Quel est le rôle du destin, ou du karma, dans la vie de chacun? 

Les actions passées des personnages, notamment celles d'Alfred Ill envers Claire Zachanassian, reviennent les hanter sous la forme d'une vengeance implacable orchestrée par Claire. Cela soulève la question de savoir si les actions passées peuvent véritablement déterminer le destin.

Dans le cas des habitants de Güllen, le rôle du destin ou du karma est également exploré. Leur implication dans la condamnation de Claire dans un premier temps conditionne la condamnation d'Alfred par la suite. Mais, avec la mort d'Alfred, il est fort probable que la responsabilité de cette condamnation les hante dans le futur. Même si certains pourraient essayer de justifier leurs actions en se disant qu'ils ont agi pour assurer la survie économique de la ville, le poids moral de leur décision de participer à un acte aussi extrême que le meurtre ne disparaîtra pas facilement et influencera leurs vies futures.




Bibliographie









 
 
 

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Ecrit par Carmen Rozzonelli
 

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