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LUCRÈCE BORGIA - Victor Hugo

Dernière mise à jour : 8 avr. 2024



"Est-ce que tu n’as pas soif d’être béni, toi et moi, autant que nous avons été maudits ? "





1. Résumé


2. Conditions d’écriture : Victor Hugo


3. La pièce


4. Analyse des personnages


5. Analyse : Quelle est la question que souhaite répondre l’auteur ?



1. Résumé


Le jeune capitaine Gennaro et ses amis causent sur la terrasse d’un palais vénitien une nuit de fête.

Gennaro s’endort alors que ses amis racontent l’histoire d’un crime ancien : l’assassinat de Jean Borgia

par son frère César, crime passionnel dont le sujet de dispute est leur sœur Lucrèce.

On suspecte que Lucrèce a eu un enfant de son frère Jean mais personne ne connaît vraiment l’existence et l’emplacement de cet l’enfant.

Les Borgia nous apparaissent comme une famille maudite et notamment Lucrèce, qu’on décrit comme

une femme adultère, incestueuse, mortifère et manipulatrice.

Cette nuit de fête, seule, Lucrèce masquée, entre et admire Gennaro endormi.

On apprend qu'elle l’a suivi à Venise, qu'elle l’aime et qu'elle veut se réformer pour lui. Laisser derrière

elle ses habitudes cruelles pour être digne de son amour.

Le jeune homme se réveille et échange avec Lucrèce sans connaître son identité.

Mais les amis de Gennaro la reconnaissent et, motivés par la haine, la dévoilent malgré ses supplications.

Elle jure se venger d’eux.


Quelques jours plus tard, à Ferrare, Gennaro et ses amis parlent des Borgia, se trouvant devant le palais de Lucrèce.

Ils sont tous invités le soir chez la princesse Negroni, sauf Gennaro.

Les amis chamaillent Gennaro sur la flamme qu’éprouve Lucrèce pour lui.

Le jeune capitaine exprime sa haine envers les Borgia et pour recaler ses propos, avec son poignard, il fait sauter le B de l’inscription Borgia du palais, qui devient « Orgia ».

De son côté, en apprenant l’insulte contre sa famille, Lucrèce s’emporte contre son mari lui reprochant de ne rien faire pour punir l’affront de l’inscription mutilée, sans savoir que c’est Gennaro le coupable. Elle demande à son mari de tuer l’offenseur.

Don Alphonse, qui croit que Gennaro est en fait l’amant de Lucrèce, n’hésite pas à donner sa parole de

duc.


Quand Lucrèce apprend que le capitaine est son offenseur elle essaye par tous les moyens de le sauver,

chose qu’elle réussie, et lui demande de fuir Ferrare le jour même.

Mais au lieu d’écouter Lucrèce, Gennaro va, avec son ami Maffio, à la fête de la princesse Negroni. Ils

sont pris au piège au palais. En effet, l’invitation était une ruse de Lucrèce pour se venger des amis de

Gennaro. Elle annonce qu’elle les a empoisonnés.

Elle découvre par la suite Gennaro parmi les convives alors qu’elle le croyait loin de Ferrare.


Laissés seuls, Gennaro décide de tuer Lucrèce avant de mourir comme ses amis.

Lucrèce essaie de le convaincre de ne pas agir ainsi, mais malgré ses prières, il la tue.

En mourant, elle lui révèle qu’elle est sa mère.



2. Conditions d’écriture


Pendant que la France subie la révolution de 1830 (dite aussi révolution de Juillet ou encore Trois Glorieuses), une partie des Parisiens se sont soulevés contre la politique très réactionnaire du gouvernement du roi Charles X (qui prônait la monarchie absolue) Victor Hugo de son côté, prêchait le développement du drame romantique.


Autour de lui se développa le Cénacle, une école romantique constituée en 1827.

Tous les arts cherchaient à communier dans une même recherche : se débarrasser des conventions académiques et des vieux conformismes, pour inventer des formes résolument modernes, laissant libre cours à l'imagination.

Émile Deschamps, Alexandre Soumet, Alfred de Vigny, Saint-Valry, Desjardins, Théophile Gautier, Musset, Mérimée, Dumas, Balzac et Nerval… furent de ces membres les plus prestigieux.


Le drame romantique est un genre littéraire théorisé par Victor Hugo influencé par le théâtre baroque de Shakespeare ainsi que par les romantiques allemands Heinrich Von Kleist, Friedrich Von Schiller...

C'est un théâtre le plus souvent historique où se mêlent différents styles : le tragique, le pathétique, mais aussi le comique et le burlesque. Cette nouvelle forme de théâtre refuse de se confronter aux obligations et règles d'écriture du théâtre classique comme le maintien des trois unités (lieu, temps) ou le respect de la bienséance, et l'intrigue se centre sur les sentiments des héros principaux.

Le drame romantique se caractérise par un double projet : représenter le passé historique pour permettre aux spectateurs de comprendre le présent et souligner le rôle de l’individu exceptionnel dans l’évolution d’une société.

Hugo considère que seul le mélange des genres peut traduire la complexité de la vie et les contradictions de la société.

L’œuvre représentative de ce mouvement fut Hernani (1830) qui donne lieu à la dénominée « Bataille d’Hernani » : Cinq cents romantiques (les "Jeune-France") occupèrent la salle, déterminés à soutenir le drame contre les « perruques » (les classiques). L’affrontement fut violent.


Les œuvres de Victor Hugo sont d’un grand caractère social et politique. Il n’a jamais cherché à opérer une distinction entre son activité d'écrivain et son engagement politique.


« L’art doit en même temps instruire et plaire

et le roman est presque toujours au service du débat d'idées »


Victor Hugo (1803-1885) est un poète, dramaturge, écrivain, romancier, dessinateur et homme politique français.

Dans ces œuvres Hugo dénonce les conditions inhumaines, l’injustice, la misère matérielle et morale, la peine de mort… sans tenir compte de ses directions politiques (Hugo soutient la monarchie constitutionnelle. En 1825, il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur, il assista à la cérémonie du sacre de Charles X, qu'il chanta dans une ode. Il devient en 1844 confident de Louis-Philippe puis pair de France en 1845. Il soutient la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la République en décembre 1848, contre qui il finit par se tourner et devient finalement républicain suite à la Révolution de février).

Lucrèce Borgia est écrite en 1833, et se veut « la sœur jumelle » de la pièce Le roi s’amuse écrite en 1832. Lucrèce Borgia sera le plus grand succès théâtral de Victor Hugo.



3. La pièce


Partie 1

Acte I scène 1


Nuit de carnaval à Venise à la terrasse du Palais Barbarigo.


Des soldats, masqués, parlent entre eux.

Jeppo, un des soldats, raconte qu’en 1497 un batelier vit comment des hommes jetaient dans le Tibre un cadavre. Au loin, un homme à cheval. On apprend que le cadavre était celui de Jean Borgia et l’homme à cheval, son frère César, Cardinal de Valence.

César aurait tué Jean par jalousie. Ils aimaient tous deux la même femme, leur sœur Lucrèce.

Le soldat fait part de la rumeur d’un fils né de la relation incestueuse entre Jean et Lucrèce.

Mais l’enfant aurait disparu.


«Est-ce César Borgia qui a réussi à le soustraire à la mère ?

Est-ce la mère qui a réussi à le soustraire à César Borgia ?

On ne le sait »


Gennaro, brave capitaine d’aventure « qui porte un nom de fantaisie », s’endort pendant le récit.


(Historiquement, ce fait a bien eu lieu mais les raisons du meurtre sont inconnues. On dit que les deux frères aimaient Sancha d'Aragon, fille du roi de Naples et épouse de Gioffre, qui aurait été la maîtresse de tous deux. D’un autre côté, on pense que César, jaloux des faveurs que leur père donnait à Jean, l’aurait assassiné).


Acte 1 Scène 2


Une femme entre en scène. C’est Lucrèce Borgia qui, masquée, contemple Gennaro endormi avec ravissement.


Lucrèce se fait passer par une dame napolitaine. Elle est d’incognito dans la fête puisqu’elle ne veut pas attirer sur elle ses ennemis.

Son serviteur Gubetta se fait passer par un gentilhomme castillan, le compte Belverana sous les ordres de sa maîtresse. Elle souhaite que Gubetta ait la confiance du groupe d’amis et l’informe de tous leurs mouvements.


« S’ils ne savent pas qui je suis, je n’ai rien à craindre ;

S’ils savent qui je suis, c’est à eux d’avoir peur »


Lucrèce Borgia est une femme hait de toute l’Italie. De par son nom tout comme ses actions elle a gagné une réputation de femme monstrueuse.

Mais, cette nuit, sous un élan de clémence qui surprend son serviteur, elle donne la liberté à toutes les personnes qu’elle a fait arrêter et qui attendent la mort sous son commandement.



« Il grêle de la miséricorde ! Je suis submergé dans la clémence !

Je ne me tirerai jamais de ce déluge de bonnes actions ! »



A ce qu’elle répond tout simplement :


« Est-ce que tu ne commences pas à sentir le besoin de changer de genre de vie ?

Est-ce que tu n’as pas soif d’être béni, toi et moi, autant que nous avons été maudits ? Est-ce que tu n’en as pas assez du crime ?»


Nous apprenons que Lucrèce aime.

L’objet de son amour est secret mais puissant. Elle souhaite se reformer, racheter son passé et laver son nom, changer de vie pour gagner l’amour et le respect de celui qu’elle aime.


« S’il ne me restait dans l’état de détresse où mon âme agonise douloureusement qu’une idée, qu’une espérance, qu’une ressource, celle de mériter et d’obtenir avant ma mort

une petite place Gubetta, un peu de tendresse, un peu d’estime

dans ce cœur si fier si pur »


Elle avoue à Gubetta qu’elle parle du jeune soldat endormi, Gennaro.

Elle le poursuit masquée dans toute Venise. Pour cela elle a menti à son mari, Don Alphonso d’Este (très amoureux et très jaloux), quitte Ferrare en disant qu’elle part pour Spolette et va secrètement à Venise pour suivre le capitaine.


Gubetta averti Lucrèce que ses démarches ne lui rapporteront aucun fruit puisque Gennaro est amoureux de Fiametta. Contraire aux attentes de Gubetta, la nouvelle la rend heureuse « je voudrais tant le savoir heureux ».


Gubetta attire son attention sur un fait particulier :


«Gubetta : je trouve qu’il ressemble à quelqu’un

Lucrèce : ne me dis pas à qui tu trouves qu’il ressemble ! Laisse-moi »


Gubetta sort de la scène et Lucrèce reste seule avec Gennaro, toujours endormi.


« Je ne l’avais pas rêvé plus beau.

O dieu ! Épargnez-moi l’angoisse d’être jamais haie et méprisée de lui ;

vous savez qu’il est tout ce que j’aime sous le ciel »


L’amour et la tendresse qu’exprime Lucrèce pour ce jeune homme nous indique ce que nous savons déjà : Gennaro est le fils dont elle a dû se séparer en étant enfant. Un de ses plus grands secrets.

Elle lui donne un baiser sur le front, ce qui réveille Gennaro; elle reste interdite.


D’autre part, deux hommes masqués se trouvaient à un côté de la terrasse à observer la scène.



« Je puis retourner à Ferrare.

Je n’étais venue à Venise que pour m’assurer de son infidélité »


Nous soupçonnons que l’homme est Alphonso d’Este.

Il demande à Rustighello, son serviteur, de faire venir Gennaro à Ferrare.



Acte 1 Scène 3

Jeppo accompagné de Maffio reconnaît Lucrèce


« Il faut tirer mon frère Gennaro de cette toile d’araignée »


Acte 1 scène 4


Lucrèce se démasque pour que Gennaro la voie


Lucrèce : « regarde-moi bien Gennaro et dis-moi que je ne te fais pas horreur »

Gennaro: « je me sens au fond du cœur quelque chose qui m’attire vers vous »


Elle demande s’il peut l’aimer.

Il répond que oui mais qu’il aimera toujours plus sa mère sur toutes les femmes, même s’il ne la connaît pas. Il lui dit qu’il se croyait orphelin jusqu’à ce qu’il a commencé, à 16 ans, à recevoir des lettres de sa mère.

Gennaro lui montre les lettres qu’il reçoit et qu’il garde sur sa poitrine.


« Nous, autres gens de guerre, nous risquons souvent notre poitrine à l’encontre des épées.

Les lettres d’une mère c’est une bonne cuirasse »


Ces lettres lui sont remises le premier jour de chaque mois par un messager sourd et muet, peu importe dans quel endroit de l’Italie il se trouve.


Sa seule ambition est de libérer sa mère de son malheur « délivrer ma mère, la servir la venger, la consoler».


(Dis-t-elle dans sa lettre)

« Je suis entourée de parents sans pitié, qui te tuerait comme ils ont tué ton père.

Le secret de ta naissance, mon enfant, je veux être la seule à le savoir.

Si tu le savais, toi, cela est à la fois si triste et si illustre que tu ne pourrais pas t’en taire,

la jeunesse est confiante »


Lucrèce est consciente que Gennaro par sa jeunesse et son éventuelle imprudence ne pourrait pas taire le secret. Un secret qui le mettrait en danger.

Quand Gennaro lui demande qui elle est, elle répond tout simplement « une femme qui vous aime ». Elle sait que sa renommée lui est infâme et veut qu’il l’aime sans savoir son nom.


Mais le secret est révélé dans la scène 5 quand les amis de Gennaro se présentent à Lucrèce en lui faisant part des crimes qu’elle a commis envers leurs familles respectives :



« Madame, je suis Maffio Orsini, frère du duc de Gravina

que vos sbires ont étranglé la nuit pendant qu’il dormait

(...)

Madame, je suis Jeppo Liveretto, neveu de Liveretto Vitelli

que vous avez fait poignarder dans les caves du Vatican »


Lucrèce demande grâce, elle supplie désespérée qu’ils ne dissent pas son nom à Gennaro.

Ils ne prennent pas compte de son souhait et crient son nom. Elle s’évanouit aux pieds de son fils.


Partie 2

Acte 1 scène 1


A Ferrare dans le palais de Lucrèce.


Elle fait part à Gubetta l’outrage que les amis de Gennaro lui ont fait. Les cinq amis et Gennaro sont à Ferrare et Lucrèce veut se venger.


« Ils ne m’ont pas dit mon nom Gubetta,

ils me l’ont craché au visage »


Gubetta sera l’ange vengeur de Lucrèce, mais elle lui demande de prendre soin de Gennaro et que rien ne lui arrive.


Acte 1 scène 2


Les jeunes soldats échangent sur la nuit de Carnaval.

Ils disent que Lucrèce ne peut rien leur faire à Ferrare parce qu’ils sont venus avec le sénat de Venise, même si quelqu’uns sont inquiets du pouvoir de Lucrèce et la façon dont elle pourrait se venger d’eux.

Mais ils repoussent le voyage au lendemain puisqu’ils sont tous invités le soir chez la princesse Negroni. Gennaro n’est pas invité.

Maffio de son côté est méfiant : « le palais Negroni touche au palais ducal et je n’ai pas grande croyance aux airs amiables de ce seigneur Belverana »

Les amis taquinent Gennaro sur Lucrèce en disant qu’ils sont amoureux, et un des signes de leur relation, est l’écharpe qu’il porte avec les couleurs de la Borgia.

Gennaro, insulté, arrache l’écharpe « maudite soit cette Lucrèce Borgia ». Mais non content de cela, il fait sauter le B de Borgia du mur du palais : « Orgia »


« Palais de la luxure, palais de la trahison, palais de l’assassinat,

palais de l’adultère, palais de l’inceste, palais de tous les crimes,

palais de Lucrèce Borgia ! »



Ces amis l’avertissent qu’il s’est condamné


« Cette lettre de moins au nom de Madame Lucrèce,

c’est ta tête de moins sur tes épaules ».


Acte 1 scène 3


Astolfo, serviteur de Lucrèce et Rustighello, serviteur de Don Alphonse, cherchent Gennaro. Ils veulent emmener l’homme chacun de son côté, chez le duc et la duchesse : chez elle l’amour, chez lui la mort.

Ils jettent une monnaie en l’air. C’est le duc qui l’emporte.



Partie 1

Acte 2 scène 1


Chez le duc Don Alphonse d’Este.


Il tient en son pouvoir Gennaro, celui qu’il pense être l’amant de Lucrèce, et par chose du destin, est également celui qui a outragé le nom des Borgia.

L’opportunité parfaite de coincer Lucrèce s’est présentée à lui.


Don Alphonse demande à son valet de chercher du poison et de rester derrière la porte avec son épée en main. Il doit attendre le son de cloche de Don Alphonse : s’il l’appelle par son nom il rentre avec le plateau de poison, s’il sonne la clochette il rentre avec l’épée.


Acte 2 scène 2


Lucrèce demande de parler avec le duc.

Elle lui dit que quelqu’un a blasphémé son nom et demande justice et vengeance de la part de son époux.



« Je vous trouve l’air trop gracieux et trop tranquille

pendant qu’on traîne dans les ruisseaux de votre ville la renommée de votre femme »


« Préparez-vous à faire justice, c’est un événement sérieux qui arrive la, voyez-vous ? »


« Qui épouse protège, qui donne la main donne le bras

[…] est-ce que cette boue dont on me couvre ne vous éclabousse pas? »


Don Alphonse dit que le criminel à été découvert, mais il attendait Lucrèce pour décider de son châtiment.


« Quel que soit cet homme, fut il de votre ville, fut il de votre maison, Don Alphonse,

donnez-moi votre parole de duc couronné qu’il ne sortira pas d’ici vivant »


Il jure.


Acte 2 scène 3

Gennaro rentre.

Lucrèce en le reconnaissant essaye de le sauver désespérée mais Gennaro avoue son crime.

Don Alphonse est donc prêt à le tuer.


« Vous avez ma parole de duc couronné Madame »


Lucrèce demande à parler seule avec Don Alphonse.



Acte 2 scène 4


Elle dit qu’elle ne veut pas que Gennaro meurt, que la mort de Gennaro est un caprice.


« On a depuis mon enfance obéi à tous mes caprices.

Ce que je voulais il y a un quart d’heure je ne le veux plus à présent »


Au lieu de lui dire la vérité sur le lignage qui relie Lucrèce à Gennaro, elle essaye de séduire et de manipuler Alphonse


« Je vous aime comme si j’avais 18 ans.

Vous savez que je vous aime, n’est-ce pas Alphonse ? »


« Il est bien ridicule qu’un prince et une princesse comme vous et moi,

qui sont assis cote à cote sur le plus beau trône ducal qui soit au monde et qui s’aiment,

aient été sur le point de se quereller pour un misérable petit capitaine aventurier vénitien!

il faut chasser cet homme »


Mais Alphonse ne cède pas


« Dites-moi si vous avez quelque motif d’en vouloir à ce Gennaro.

Non ? Eh bien ! Accordez-moi sa vie. Vous m’aviez bien accordé sa mort.

Qu’est-ce que cela vous fait ? s’il me plaît de lui pardonner. C’est moi qui suis l’offensée »


Elle trouve donc une autre raison pour demander la vie de Gennaro.

Puisqu’elle ne peut le manipuler par l’amour elle essaye de le manipuler par la grâce de sa renommée et pour gagner la faveur de son peuple en montrant clémence.


« Soyons des souverains miséricordieux »


Don Alphonse dit qu’il ne peut lui accorder sa vie parce qu’il sait que Gennaro est son amant « il est temps que je venge mon honneur » et il menace Lucrèce de tuer tous ses amants futurs.

Elle demande grâce pour Gennaro mais face à la ferme négative de son mari, elle le menace ouvertement :


« Prenez garde à vous Don Alphonse, mon quatrième mari »


Mais Don Alphonse, ne prend pas peur


« Vous êtes la fille du pape mais vous n’êtes pas à Rome.

Vous êtes la gouvernante de Spolette mais vous n’êtes pas à Spolette.

Vous êtes la femme, la sujette et la servante d’Alphonse, duc de Ferrare, et vous êtes à Ferrare ! »


Et la perversité de sa vengeance est poussée plus loin quand il annonce à Lucrèce qu’elle doit choisir la manière de mourir de Gennaro.

Elle choisit le poison, arme habituel des Borgia.


Acte 2 scène 5

Gennaro rentre. Don Alphonse le manipule et lui ment afin qu’il accepte de boire du vin avec lui, coupe qui sera empoissonnée par Lucrèce.

Gennaro est informé qu’il a la vie sauve et qu’il peut retourner à Venise.


« La clémence est une vertu de race royale »


Pendant leurs échanges, Gennaro avoue à Don Alphonse qu’il a sauvé, il y a deux ans, le père d’Alphonse d’un assaut. Ceci n’attendris pas le duc. Il demande à Lucrèce de servir du vin et trinquer avec le capitaine.


« C’eut été une cruauté que d’enlever ce capitaine à la vie,

à l’amour, au soleil d’Italie, à la beauté de son âge de vingt ans,

à son glorieux métier de guerre et d’aventure par où toutes les maisons royales ont commencé,

aux fêtes, aux bals masqués, aux gais carnavals de Venise, où il se trompe tant de maris,

et aux belles femmes que ce jeune homme peut aimer »


Ils boivent.

Alphonse sort


« Vivez avec lui, si bon vous semble, son dernier quart d’heure »



Acte 2 scène 6

Lucrèce dit à Gennaro qu’il est empoissonné.

Elle veut donner le contrepoison qu’elle porte dans une fiole à sa ceinture, mais il refuse puisqu’il pense que le contrepoison que Lucrèce lui donne, est en vérité le poison lui-même. Gennaro dit qu’elle a des raisons de le voir mort, et, dans ces réflexions sur l’entichement qu’elle lui porte, il pense que Lucrèce connaît la famille à laquelle il appartient et qu’elle essaye de se venger d’eux en le tuant.


« Me venger de toi Gennaro !

Il faudrait donner toute ma vie pour ajouter une heure à la tienne

(…) tu ne sauras jamais rien de mon pauvre misérable cœur sinon qu’il est plein de toi ! »


Elle lui redemande de prendre le contrepoison. Il finit par accepter plus par ennui que parce qu’il l’a croit


« Après tout que vous dissiez vrai ou non,

ma vie ne vaut pas la peine d’être tant disputée »


Sauvé, elle le fait fuir par une porte masquée qui donne à une cour du palais Negroni et lui demande de quitter Ferrare immédiatement.

Elle lui dit adieu pour toujours, mais avant de partir Gennaro demande si les crimes de Lucrèce ne sont pour rien dans le malheur de sa mère.


Lucrèce en étant sa mère et s’étant condamnée elle-même par ses actes ne peut jurer.


Il la maudit.


Elle le bénit.


« C’était le seul bonheur que j’eusse au monde

(…) nous voila donc pour toujours séparé de cette vie

hélas ! Je ne suis que trop sûre que nous serons séparés aussi dans l’autre »



Partie 2

Acte 2 scène 1


Rustighello dit à Don Alphonse que Lucrèce a sauvé la vie de Gennaro.

Ils se cachent proche de la maison où se cache Gennaro, qui s’apprête à quitter Ferrare.

Avant d’attaquer Gennaro, Maffio arrive et lui demande d’aller avec lui à la fête de la princesse Negroni.

Gennaro raconte ce qui s’est passé à son ami mais Maffio lui dit que Lucrèce fait de la comédie parce qu’elle est amoureuse de lui et veut lui faire croire qu’elle a sauvé sa vie pour le glisser dans son lit.

Gennaro accepte de rester et d’aller souper avec ses amis.

D’un autre côté, Rustighello veut agir mais Don Alphonse l’arrête en laissant supposer qu’une mésaventure arrivera chez la princesse donc il n’a plus besoin d’agir.


« Cela fera encore mieux mon affaire et ce sera une plaisante aventure.

Attendons à demain »



Acte 3 scène 1

Au palais Negroni, 14 convives s’y trouvent : 7 femmes et 7 hommes.

Ambiance de fête, ils rient, mangent et causent.

Gubetta se trouve aussi au dîner comme le compte Belverana. Maffio soupçonne de lui : Gubetta n’a que bu de l’eau depuis le début de la soirée.

De son côté, Gubetta veut que les femmes partent, mais il ne sait comment s’y prendre afin de rester seul avec le groupe de soldats.

Ainsi, il provoque une dispute avec Oloferno qui veut se battre avec lui.

Les femmes partent épouvantées.


Les hommes s’aperçoivent qu’ils n’ont pas leurs épées sur eux et que les portes sont fermées en dehors.

Ils trinquent et continuent à boire sauf Gubetta qui chante : « le ciel du bon dieu appartient aux buveurs ».


Soudainement des voix, chant de funérailles se font entendre en dehors de la pièce, les lampes s’éteignent comme si elles n’avaient plus d’huile.

Des moines habillés en blancs et noir rentrent et se placent des deux côtés de la salle.

Que leurs yeux sont visibles.


« Nous sommes chez le démon »


Acte 3 scène 2


Lucrèce fait son apparition. Elle leur annonce qu’elle les a empoissonnés puisqu’elle veut se venger de l’affront que les soldats lui on fait à Venise.

Elle ne s’aperçoit pas que Gennaro est là.


« Vous m’avez donné un bal à Venise,

je vous rends un souper à Ferrare »


Elle demande aux moines de les confesser avant de mourir.


Sous ces mots Gennaro apparaît.

Elle demande à tous de sortir.



Acte 3 scène 3


Lucrèce lui demande de boire le contrepoison. Gennaro demande s’il en a assez pour sauver ses amis. En se doutant de sa réponse il annonce qu’il n’aura qu’à mourir lui aussi.

Mais avant, en prenant un couteau sur la table, il menace Lucrèce.


« C’est une action infâme que vous avez faite là,

qu’il faut que je venge Maffio et les autres,

et que vous allez mourir.

(…) faites vos prières madame, et faite la courte.

Je suis empoisonné. Je n’ai pas le temps d’attendre »


Lucrèce doute désespérée de lui dire la vérité. Elle commence en lui confessant qu’il est de sa famille :


Lucrèce : « tu as eu pour père Jean Borgia »

Gennaro : « votre frère ! Ah vous êtes ma tante ! »


Ceci lui donne encore plus de courage de poursuivre ses plans de vengeance : venger son père, venger sa mère, venger ses amis.


« Un gentilhomme n’a jamais été blâmé pour avoir coupé

une mauvaise branche à l’arbre de sa maison »


Elle veut le persuader de ne pas la tuer en protestant qu’elle est une femme sans défense, puis qu’elle fera de son caprice « tu veux que je prenne le voile ? »


« Vivons tous les deux,

toi pour me pardonner, moi pour me repentir »


Gennaro est ébranlé mais la voix de Maffio qui l’appelle et lui demande de le venger est suffisante.

Il frappe Lucrèce avec le couteau et avant d’expirer elle exclame « je suis ta mère ».



4. Analyse des personnages


Lucrèce

Lucrèce Borgia fut une personne réelle.

Son père était le pape Alexandre VI, ses frères : César et Jean Borgia.


Très belle, très intelligente et très cultivée, elle éveillera la convoitise et la jalousie mais aussi l’admiration. Elle aura une influence certaine dans l’art. Elle mourra en couches à trente-neuf ans après avoir mis au monde sept enfants. Elle fut toujours utilisée comme un pion des convoitises politiques de son père et son frère.


Victor Hugo crée une légende noire (une expression désignant une perception négative d'un personnage ou d'un événement historique. Généralement infondée ou partielle) autour de Lucrèce Borgia en transférant toutes les actions sordides de César Borgia, sur Lucrèce elle-même.


« Je n’étais pas née pour faire le mal, je le sens à présent plus que jamais.

C’est l’exemple de ma famille qui m’a entraîné »


Dans l’œuvre, Lucrèce Borgia possède l’ensemble des pires défauts que peut posséder une personne: elle est perverse, manipulatrice, capricieuse, incestueuse, adultère, assassine empoisonneuse et machiavélique. Grande femme de la noblesse et toute puissante.


« Une femme qui a dans les veines

du sang de courtisane et du sang de pape »



« Ne prononcez pas devant nous le nom de cette femme monstrueuse.

Il n’est pas une de nos familles à laquelle elle n’ait pas fait quelque plaie profonde »

Ce qui l’empêche de tomber au rang de psychopathe, sans valeurs ni morales, est sa maternité.

Peut-être sa seule qualité rédemptrice.

Elle aime son fils Gennaro plus que tout au monde.

Son amour pour lui surpasse tout. Le protéger et le sauver de sa famille en le donnant en adoption, jusqu’à essayer de devenir meilleure pour lui.



« Les deux anges luttaient en moi, le bon et le mauvais ;

mais je crois que le bon va enfin l’emporter »



Par exemple, elle éprouve pour la première fois de sa vie de la clémence pour ses ennemis en les libérant de la mort auquel elle les avait condamnés.

Mais sa nature reprend le pouvoir malgré elle, en empoisonnant les amis de son fils, tout comme Gennaro lui-même au dernier acte.


Son amour pour son fils est encore plus poussé quand elle essaye également de le sauver de lui-même à la fin de la pièce.

Peut lui importe de mourir, mais mourir aux mains de son fils est inenvisageable pour elle. Elle tente de sauver l’âme de Gennaro, pour laquelle elle a lutté et essayé de préserver en l’éloignant d’elle.


Sa mort est un double échec.


Non seulement elle tue son fils mais en plus elle condamne son âme en le faisant commettre un matricide.


Lucrèce Borgia incarne la figure de la femme fatale et dangereuse.


Nous pouvons la comparer et faire référence au personnage de Cersei Lannister de la série Game of Thrones.

Cersei Lannister, tout comme Lucrèce est une femme dont la vie a été contrôlée depuis toujours.

Elle fait partie de la noblesse et s’est vu obligé à marié un homme qu’elle aimait mais qui l’a déçue. Elle se tourne vers son frère avec qui elle a eu des relations incestueuses et avec qui elle a engendré des enfants qu’elle aime plus que tout au monde.

Tout comme notre héroïne elle est manipulatrice, perverse, incestueuse, assassine et avide de pouvoir.


« Prenez la difformité morale la plus hideuse, la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là où elle ressort le mieux, dans le cœur d’une femme, avec toutes les conditions de beauté physique et de la grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime.

Et maintenant mêlez à toute cette difformité morale un sentiment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, le sentiment maternel : dans votre monstre, mettez une mère; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer et cette créature qui faisait peur fera pitié et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux »

Victor Hugo


Le drame romantique cherche à mettre en avant la nature contradictoire de l’Homme.


Gennaro :

Jeune capitaine de 20 ans. Il dirige 50 hommes pour la république de Venise.


Les origines de Gennaro sont confuses au début de la pièce. Maffio l’appelle « l’orphelin » mais nous savons par lui-même qu’il a été élevé par un pécheur à Calare, puis à 16 ans il apprit la vérité de son adoption.

Un seigneur vint l’armé chevalier par la suite, et depuis lors il est devenu un aventurier qui ne défend « que les causes justes ».


« Que te fait les histoires des familles et des villes, à toi, enfant du drapeau,

qui n’as ni ville ni famille ?

« On ne doute pas que tu sois gentilhomme à la façon dont tu tiens une épée ;

mais tout ce qu’on sait de ta noblesse et que tu te bats comme un lion »



Le seul et grand amour de sa vie est sa mère, femme dont il connaît l’existence qu’à travers des lettres qu’un homme vient lui apporter chaque mois. Sa seule ambition est de la délivrer des peines qu’elle lui partage dans ses lettres.


Quand il fait la rencontre de Lucrèce, un léger complexe d’Œdipe se manifeste. En effet, Gennaro se dit attirer de manière curieuse envers elle. D’une certaine façon, le sang l’appelle et son cœur reconnaît sa mère de façon mystique


« Je ne sais pas pourquoi j’ai une pente à me confier à vous »

« Cela est étrange de se livrer ainsi au premier venu,

mais il me semble que vous n’êtes pas pour moi la première venue »

« Ma mère que je rêvais bonne, douce, tendre,

belle comme vous »


L’ironie est quelque peu très présente quand il dit, sans savoir que la femme à laquelle il s’adresse est sa mère :


« Je veux pouvoir déposer un jour aux pies de ma mère

une épée nette et loyale comme celle d’un empereur ;

Tenez madame, on m’a offert un enrôlement au service de cette infâme Lucrèce Borgia,

j’ai refusé »



Gennaro incarne le héros romantique.

Il est juste et brave, tendre, fidèle et courageux, de fortes valeurs éthiques et morales (quand Don Alphonse lui donne comme récompense une bourse d’argent pour avoir sauvé son père, celui-ci ne l’accepte pas, mais il repartit l’argent aux gardes qui sont présents dans la salle).


Mais il est également passif, solitaire et silencieux. Sa nature faite de sommeil et de rêveries.


« Il serait plus beau s’il n’avait pas les yeux fermés »


Ses valeurs sont telles qu’il ne peut que détester tout ce que représente Lucrèce.


« (ma mère) Je ne l’aimerais pas comme je l’aime si elle n’était pas digne de moi

(…) je la haïrais si elle pouvait vous ressembler »

« Vos enfants, si vous en aviez,

savez-vous bien qu’ils vous renieraient Madame ?

Quel malheureux du ciel voudrait d’une mère pareille ? »


Gennaro, apparaît comme le vengeur qui purge la terre d’un monstre.


Gennaro qui est bon et noble, finit par devenir ce qu’il déteste de plus : un Borgia.

En se vengeant il finit au même rang que Lucrèce, voir pire, puisqu’il commet un matricide.


L’ange bon devient un assassin.

Le monstre devient une mère.


Lucrèce et Gennaro sont les deux faces d’une même monnaie : l’une bonne, l’autre mauvaise. Une qui aime, l’autre qui hait : ce qui les mène à leurs pertes respectives.

En la haïssant, il ne prend pas le temps de se sauver afin de la tuer.

En l’aimant, elle ne prend pas la peine de crier pour se sauver.


Les Borgia :

« Pauvre Italie

avec les guerres, les pestes et les Borgia »


Cette famille est considérée maudite. Chaque individu est plus redoutable que l’autre.

Le pape Alexandre Six, père des trois Borgia, est pape et pourtant est décrit comme « l’antéchrist » : « j’ai horreur de votre père qui est pape et qui a un sérail de femmes comme le sultan des turcs, Bajazet »


« Je ne m’étonnerais plus de rien maintenant,

quand même on viendra me dire que le pape Alexandre Six croit en dieu ! »


« Monsieur de Valentinois en sait plus que Dona Lucrezia,

le diable en sait plus que Don Valentinois

et le pape Alexandre Six en sait plus que le diable »


César, cardinal de Valence, duc de Valentinois : le frère ainé a fait mourir ses neveux, son cousin et son frère.

Lucrèce : qui a fait empoissonner son premier mari, chasser le deuxième et assassiner le troisième.

Le seul qui se sauve est Jean qui est mort par la main de son frère.

Un grand mythe et mystère se forme autour de cette famille. Source de péchés et de débauche dont émane des rumeurs et légendes.


« L’on raconte des choses étranges de ces soupers des Borgia (…)

ce sont des débauches effrénées, assaisonnées d’empoisonnements »



Don Alphonse d’Este :


Quatrième mari de Lucrèce.

En parlant de lui, les personnages le définissent comme un être absolument jaloux et amoureux de son épouse.


Mais cette dénomination de Don Alphonse peut être discutée et ré interroger, notamment dans la scène où il s’entretient avec Lucrèce sur la mise à mort de Gennaro.


Lors de cet entretien nous découvrons un homme plein de contrariété.


Don Alphonse est un homme qui, avant tout, a l’orgueil de son nom et de son rang.

Il est un chevalier, un homme intelligent, galant et courtois. Il est également connu pour être juste.


« Hercule fils de Jupiter, un de mes ancêtres »


« Je suis un homme Madame.

Le nom d’Hercule est souvent porté dans ma famille

(…) je suis un chevalier moi-même »


Nous apprenons que, même issu d’une grande famille, Don Alphonse a trouvé dans son mariage une plus grande fortune et un plus haut rang. C’était un mariage d’affaire très bénéfique pour lui.


« J’ai doublé par ma dot vos domaines héritaires,

je vous ai apporté en mariage, non seulement la rose d’or et la bénédiction du saint père,

mais ce qui tient plus au monde : Sienne, Rimini, Cesena, Spolette et Piombino,

et plus de ville que vous n’aviez de château, et plus de duché que vous n’aviez de baronnies »


Sa relation avec Lucrèce est ambiguë.


Lucrèce nous dit dans son discours de ses attitudes envers elle, qui nous font penser que finalement il n’est pas si amoureux qu’on nous le fait croire. Lucrèce nous fait comprendre par exemple qu’il est très indifférent aux injures faites à sa femme dans sa seigneurie de Ferrare, chose qu’elle lui reproche :


« Tous les jours ce sont des nouvelles injures et jamais je ne vous en vois ému »


« Courroucez-vous un peu, que je vous voie, une fois dans votre vie,

vous fâcher à mon sujet Monsieur ! »


« Si j’ai fait de vous le plus puissant gentilhomme de l’Italie,

ce n’est pas une raison Monsieur, pour que vous laissiez votre peuple me railler

[…] je veux que le crime d’aujourd’hui soit recherché et notablement puni

ou je m’en plaindrais au pape,

je m’en plaindrais au Valentinois qui est à Forli avec quinze mille hommes de guerre,

et voyez maintenant si cela vaut la peine de vous lever de votre fauteuil »


Certes, jaloux et amoureux de Lucrèce, une fois qu’il a découvert la trahison de sa femme, Don Alphonse est aveuglé par son désir de vengeance. Il devient cruel et sans scrupules, notamment envers Gennaro, auquel il n’a pas épargné de la mort tout en étant conscient que celui-ci avait sauvé son père d’une embuscade.


Lucrèce brise et piétine son égo d’homme et de grand seigneur.

Dans cette pièce Don Alphonse réagis comme un homme qui a eu le cœur blésé par la femme qu’il aimait.


« Je hais toute votre abominable famille de Borgia et vous toute la première,

que j’ai si follement aimée ! »


« C’est assez de honte et d’infamies, et d’adultère comme cela!

(…) il est temps que je venge mon honneur »


De par son amour non réciproque (elle se dit froide et distante avec lui), son mariage arrangé bénéfique, la peur que Lucrèce lui inspirait et les rumeurs non-confirmées de ses infidélités, Don Alphonse n’avait jamais réagi face à elle ni à son sujet. Mais ce moment de la pièce est un tournant pour Don Alphonse, il subit un « trop plein » et le personnage ne peut qu’exploser.

Il cherche à l’écraser et use de sa toute-puissance pour le faire. Même si ceci apporte comme conséquence la mort de Lucrèce.




« Vous êtes la femme, la sujette et la servante de don Alphonse, duc de Ferrare »



(Par ailleurs, Victor Hugo, qui comptait avec 27 ans lorsqu’il écrivit la pièce, découvrit l’infidélité de sa femme avec son meilleur ami. Serais-ce Don Alphonse un double de l’écrivain ?)


Gubetta


Collaborateur de Lucrèce depuis 15 ans.


« Je suis habitué à ma mauvaise réputation comme un soldat du pape à servir la messe »

« J’ai l’honneur d’être le contraire d’un personnage vertueux »


Maffio se méfie toujours de lui, il ne croit pas à son nom de compte de Belverana « voilà un espagnol qui en sait plus long sur nos affaires que nous autres romains ».

Gubetta est un homme simple dans ses ambitions : boire, servir Lucrèce et faire le mal.


5. Analyse : Quelle est la question que Victor Hugo a voulu résoudre avec cette pièce ?


Quel est l’effet d’une mauvaise réputation ?

Quel est le poids d’une mauvaise réputation dans les temps politique que court la France en 1833 ?


Entre 1805 et 1830 la France subie la restauration : la monarchie de Louis XVIII et Charles X.

Leur règne fut marqué par le retour de la monarchie absolue, le retour de l’église en force, les guerres, la famine et la censure.


Lorsque la révolution anticléricale et antimonarchiste de 1830 fut déclaré, Charles X est chassé du pouvoir et la monarchie de Juillet est établie avec le roi Louis-Philippe Ier.

Le nouveau roi est un révolutionnaire qui promet un nouveau lendemain.

Il brise avec les codes et les traditions de la royauté et souhaite mettre en place un gouvernement de « juste milieu » éloigné des excès du pouvoir et ne rejette pas l'intégralité de la Révolution Française.

Pour démontrer ses propos, lors de son couronnement il ne se fait pas sacrer à Reims, il porte un uniforme sans autre décoration que le grand cordon de la Légion d'honneur et garde son nom Louis Philippe Ier (au lieu de Philippe VII afin de mieux démontrer le changement dynastique).


« En présence de Dieu, je jure d'observer fidèlement la Charte constitutionnelle, avec les modifications exprimées dans la déclaration ; de ne gouverner que par les lois ; de faire rendre bonne et exacte justice à chacun selon son droit, et d'agir en toutes choses dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »


Louis-Philippe I est Gennaro.

Lucrèce Borgia est le système politique monarchique absolu. Elle est la mère.

Gennaro est donc ce héros qui vient délivrer la France d’un régime oppressant. Il est celui qui purge le monstre.


« Tu as le bonheur de t’appeler simplement Gennaro,

de ne tenir à personne, de ne traîner après toi aucune de ces fatalités souvent héréditaires

qui s’attachent aux noms historiques »


Lucrèce porte avec elle une réputation maléfique qui la précède et qui la ruine. Qui la fait être détestée de son être le plus aimé.


« Pauvre femme haie, méprisée, abhorrée, maudites des hommes,

damnée du ciel, misérable toute puissante que je suis »


En suivant les mots de Victor Hugo, nous pouvons conclure que le théâtre a une mission nationale, sociale et humaine


« Il ne faut pas que la multitude sorte du théâtre

sans emporter avec elle quelque moralité austère et profonde »


A travers cette pièce Hugo expose sous une figure féminine les méfaits de porter avec soi une réputation nuisible.


Dans un premier degré une mauvaise réputation nui l´image qu´une personne a au sein d´une société ; mais, elle peut également porter préjudice aux personnes autour ; surtout car elle finit par échapper à tout contrôle.


Une réputation est par définition « la manière dont quelqu´un est connu et considéré dans un public. Cette opinion peut être favorable ou défavorable »

Celle-ci est la raison pour laquelle Gennaro refuse de faire partie de la famille des Borgia : il n’est pas prêt á porter la responsabilité de la renommée sanglante de sa famille.

Non seulement il se venge du meurtre de ses amis et purge la terre d´une femme cruelle mais il préfère également mourir avant de vivre comme un Borgia et se présenter au monde sous ce nom maudit.


Mais, dans un deuxième degré, un degré plus profond (où Lucrèce Borgia incarne le régime monarchique absolue) le poids du vécu entraîne la méfiance du peuple.


Après 10 ans de révolution française, dix ans de régime impérial par Napoléon, dix années d´une fausse monarchie constitutionnelle par Louis XVIII (qui mène à l´assassinat de l´héritier au trône, le Duc de Berry) et six ans de restauration de la monarchie absolue par Charles X, Louis-Philippe I rentre en menant avec lui la promesse d´un nouvel avenir : la monarchie constitutionnelle libérale.

Il se fait proclamer comme roi des Français et non comme roi de France afin de surligner les origines populaires de son règne. Il institue le principe de souveraineté nationale sur le principe du droit divin.


En revanche, la monarchie (absolue ou constitutionnelle) remplie de doute les Français qui voudraient retourner à la République. La monarchie porte avec elle une réputation.

Cette société ancienne dont les structures du passé compromettent l’avenir, sans solution visible autre que la mort.

Le règne de Louis-Philippe est à double tranchant puisque même s’il se dit être un roi « révolutionnaire», il est Roi.

Il soutient la monarchie constitutionnelle, tout comme Louis XVIII avant de retomber dans la monarchie absolue.

Louis-Philippe porte avec lui une grand poids et responsabilité. Comme Gennaro ont espère de lui qu´il coupe la tête de la vipère même si ceci entraîne son éventuelle mort.


« Ne sens-tu pas que tous les noms odieux dont on t’accable, et dont on m’accable aussi,

peuvent aller éveiller le mépris et la haine dans un cœur où tu voudrais être aimé ? »


Cette pièce souligne la peur de retomber dans un système politique oppressant.



Spoiler : Lors de son gouvernement Louis-Philippe était considéré généralement comme indifférent à la classe moyenne.


Il favorise un élitisme bourgeois qui a entraîné la privatisation du droit de vote d´une grande partie des classes moyennes et ouvrières (1% de la population avait le droit de vote) même si la France comptait avec une presse libre.

En 1846 une mauvaise récolte s´ajoute une crise industrielle et financière qui fait monter le mécontentement.

Les républicains, la petite bourgeoisie et les ouvriers se sentent trompés. Faute de s´exprimer politiquement ils s´organisent et après manifestations Louis-Philippe abdique.

Par conséquent la seconde république française s´installe dirigé par le président Louis Napoléon Bonaparte.


Ecrit en 1833. Version analysée : imprimé en 2014 par Maury imprimeur et édité par Pocket.


Bibliographie : les amis de la filature


 
 
 

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Ecrit par Carmen Rozzonelli
 

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