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QUAI WEST - Bernard-Marie Koltès

Dernière mise à jour : 31 mai 2021


"Il s'arrête pour s'orienter.

Tout à coup il regarde ses pieds.

Ses pieds ont disparu"

V.H




  1. Résumé de l'oeuvre

  2. Contexte d’écriture de l’auteur : Bernard-Marie Koltès

  3. La pièce

  4. Analyse des personnages

  5. Analyse : Quelle est la question que souhaite répondre l’auteur ?


1. Résumé de l’œuvre


Sur les quais d’une ville portuaire à l’abandon d’une grande ville séparé par un fleuve d’une grande ville occidentale.


Maurice Koch suivi par sa secrétaire Monique, fuit un procès pour abus de biens sociaux. Maurice, retraité depuis quelques années, ne se voit pas se refaire une réputation. Il se dirige dans ce lieu insolite pour se suicider.


Sur les quais, il fait la connaissance de Charles, fils aîné d’une famille d’immigrés, et lui demande de l’aider dans sa tentative de suicide. Mais Charles s’aperçoit qu’il a besoin de Maurice pour sortir de sa situation : fuir le côté Ouest et se diriger vers le côté Est, là où il y a une opportunité d’avoir une meilleure vie.

Malgré les efforts de Charles d’essayer de dissuader Maurice de se noyer, celui-ci se précipite dans le fleuve. Tentative de suicide raté puisqu’il est sauvé par Abad, un ami de Charles.


Monique retrouve Maurice trempé et blésé et essaye désespéramment de sortir de ces lieux, sans succès puisque la voiture ne démarre pas.

Ils se retrouvent ainsi obligés de rester dans cet endroit, bloqués.


Ils font ainsi connaissance de différents personnages : Cécile, Rodolphe, Claire, Abad et Fak. Tous, des habitants des quais. Tous, essayant d’échapper à la pauvreté et la misère qui les entoure.

D’une manière ou d’une autre.


Maurice et la richesse qu’il incarne déstabilisent l’équilibre précaire de ce petit monde.

Alliances, complots et trahisons se succèdent sans arrêt. C’est chacun pour soi.


Rodolphe, ancien militaire, donne sa kalachnikov à Abad pour qu’il tue Maurice et rétablisse l’ordre des lieux.

Maurice meurt. Charles aussi.


Ce n’est qu’à travers la mort qu’on peut échapper du Quai Ouest.


2. Contexte d’écriture de l’auteur : Bernard-Marie Koltès


Bernard-Marie Koltès est un auteur français né à Metz en 1948 et mort à Paris en 1989.


Bernard Marie Koltès est un rebelle né dans une famille bourgeoise. De nombreux voyages en Amérique latine, en Afrique et les États-Unis ont été des importantes sources d'inspiration pour lui et ses œuvres tournent autour de questionnements qu’il se pose lors de ses voyages : le marginal, l’étranger, la confrontation, la vaine tentative de communication entre les hommes.

« J’étais à Metz en 1960 [...] J’ai vécu l'arrivée du général Massu, les explosions des cafés arabes, tout cela de loin, sans opinion, et il ne m'en est resté que des impressions [...] c'est probablement cela qui m’a amené à m’intéresser davantage aux étrangers qu'aux Français. »


Quai Ouest était une commande de la Comédie Française. Dans cette pièce, beaucoup de rôles sont pour des étrangers (certainement voulu de la part de Koltès, afin de faire entrer des étrangers sur la scène (française). Mais la Comédie Française refuse en la jugeant de « pas convenable ».


« A l'ouest de New York, à Manhattan, dans un coin du West End, là où se trouve l'ancien port, il y a des docks ; il y a en particulier un dock désaffecté, un grand hangar vide, dans lequel j'ai passé quelques nuits, caché. C'est un endroit extrêmement bizarre – un abri pour les clodos, les trafics et les règlements de comptes – un endroit pourtant où les flics ne vont jamais pour des raisons obscures. Dès que l'on y pénètre, on se rend compte que l'on se trouve dans un coin privilégié du monde, comme un carré mystérieusement laissé à l'abandon au milieu d'un jardin, où les plantes se seraient développées différemment ; un lieu où l'ordre normal n'existe pas, mais où un autre ordre, très curieux, s'est créé.


Ce hangar va être bientôt détruit. Le maire de New York, pour sa réélection, a promis de nettoyer tout le quartier, probablement parce que, de temps en temps, un cadavre y est jeté à l'eau.


J'ai eu envie de parler de ce petit endroit du monde, exceptionnel et, pourtant, qui ne nous est pas étranger ; j'aimerais rendre compte de cette impression étrange que l’on ressent en traversant ce lieu immense, apparemment désert, avec, au long de la nuit, le changement de lumière à travers les trous du toit, des bruits de pas et de voix qui résonnent, des frôlements, quelqu’un à côté de vous, une main qui tout à coup vous agrippe. »


Avec Patrice Chéreau, en 1986, ils présentent Quai Ouest, au théâtre Nanterre Amandiers. Cependant, ils commettent l'erreur de vouloir donner plus de force à la représentation en lui donnant plus de moyens. Ils jouent dans la grande salle du théâtre, avec un décor somptueux et des effets de lumière, ce qui a pour seul effet de réduire la portée du texte (à ce propos Chéreau déclare franchement qu'ils avaient « perdu la tête »)


« J’ai essayé de m’acclimater à son monde, que contrairement à ce que les gens on crut n’était pas le mien (…) le sien étant plus fort, plus radicale que le mien, avec une position plus tranchée sur tout ce qui est la marginalité, les condamnés… et je me suis habitué à ce monde, qu’il y avait des règles très fermes et très rigoureuses qui étaient construites en lui qu’il fallait accepter en bloc quasiment sans discuter »

« Il avait une utilisation de la parole très particulière, une capacité de dialogue qui vient vraiment de la vie, de ce qu’on peut entendre dans les bars, la nuit. Le monde auquel il fait allusion est d’une grande difficulté à jouer. Et par moment on n’est pas très sure du sens. Le vertige d’un auteur contemporain est qu’il ne s’explique pas totalement sur ses intentions. Quand je posais des questions (chose que Bernard n’aimait pas beaucoup) Bernard répondait à côté … il avait raison de répondre à côté, la réponse n’était pas à lui de l’apporter. »


« Dans Quai Ouest il y en a eu des magistraux (des contresens entre le texte et la mise en scène) je les ai faits devant lui, j’étais vert de honte. À la fin je me tournais vers lui et je lui demandais « qu’est-ce que tu en penses ? » très gentiment il m’expliquait la scène et c’était exactement le contraire de ce que j’avais fait »



3. La pièce


La nuit est noire et épaisse.

On entend un bruit de voiture au loin qui s’arrête.


Monique rentre en scène suivie de Maurice Koch. Nous comprenons très rapidement que ces deux personnes ne sont pas des habitués à ces lieux misérables et morbides qui étaient, autrefois, un beau quartier populaire.

Maurice demande à Monique de rentrer chez elle et de le laisser seul. Celle-ci refuse puisque c’est elle qui a conduit la voiture de Maurice, une belle jaguar qu’il ne sait conduire lui-même.

En effet, Maurice vient dans ce quartier en pleine nuit avec un but en tête «un but que personne ne peut imaginer».


Maurice se sépare donc de Monique et trouve un hangar dans lequel il rentre. Il s’aperçoit que le hangar n’est pas vide et commence à parler à quelqu’un. Il demande qu’on le mène jusqu’au fleuve pour qu’il mette deux pierres dans ses poches.


« il me faut absolument quelqu’un

pour m’aider à aller de l’autre côté »



Face à Charon, le passeur au monde des morts, Maurice cherche à payer son passage.

Il cherche à déposer une monnaie entre les mains du passeur mais s’aperçoit qu’il en a pas. « l’argent liquide cela fait longtemps que je n’en ai pas eu en main ». Il propose de laisser sa carte de crédit.

Il commence ainsi à déposer toutes ses possessions par terre : le briquet, la montre Rolex, une bague en or …

Maurice est un homme d’argent et sa présence dans ses lieux est autant plus étrange.


Nous apprenons que l’interlocuteur est Charles.


Ce dernier dit qu’il est allé à la rencontre de Maurice parce qu’il a reconnu le moteur de la jaguar. Il pense que Maurice fait partie de la police et lui dit que, s’il vient pour chasser et emprisonner les habitants des quais, sous prétexte qu’ils ont fait des illégalités, il perd son temps.


« vous ne découvrirez rien ici »


Nous comprenons en filigrane qu’il veut que Maurice l’emporte avec lui en ville en se mettant en valeur et en cherchant sa faveur :


« vous ne tirerez rien de nous,

pas une erreur, pas une illégalité, rien.

Pas de moi en tous les cas ;

c’est pour moi que je parle »


« rappelez-vous que quoi qu’il arrive

je suis d’accord avec vous »


Après un long échange et l’arrivée d’un troisième personnage, Abad, nous apprenons enfin la raison de la présence de Maurice dans ces lieux :


« je suis venu ici pour mourir »


Il veut se suicider à cause d’une histoire d’argent en se jetant dans le fleuve. Il a perdu 7 millions. Argent qui appartient à des bonnes sœurs. Maurice ne se souvient pas ce qu’il en a fait et a peur de passer en conseil d’administration et perdre sa réputation.


Mais Abad, ami de Charles, ne veut pas que Maurice se suicide dans le fleuve pour ne pas attirer la police.


Tout bas, Charles fait comprendre à Maurice qu’il peut l’aider, mais il veut quelque chose en échange : les clés de la voiture. Clés qui, au demeurant, ont été laissés par Monique dans la voiture.


II


Parallèlement, Fak et Claire rentrent dans l’espace.


Fak essaye de convaincre Claire de rentrer dans le hangar.

Claire est la jeune sœur de Charles.

Elle a 14 ans.

Fak essaye de convaincre Claire de faire l’amour avec lui. Mais Claire refuse catégoriquement.



« je ne te demande pas de faire quelque chose, mais de te laisser faire ;

moi, je te fais passer là-dedans et je m’occupe de tout »


« il faut bien arrêter un jour d’être petite »


Ils sont interrompus par Monique qui cherche Maurice.

Elle a entendu le poids d’un corps qui tombe dans l’eau, mais Fak et Claire ne veulent pas l’aider à arriver au fleuve.


« mais je ne dirais rien pour la voiture,

je sais que vous avez ramassé les clés (…)

mais au moins amenez-moi jusqu’à lui »


En effet, Fak a volé les clés qui se trouvaient dans la voiture. Mais, non satisfait, Fak essaye de piéger Monique en la faisant rentrer dans le hangar, chose qu’elle refuse.


Quand elle rentre en désespoir, Koch apparaît trempé porté par Charles.


Maurice a la cheville cassée et Monique prend soin de lui.


III

Claire confronte Charles.

Elle demande à son frère si ses véritables intentions sont bien de partir des quais en laissant sa famille en arrière. Charles, expéditif, nie ces accusations. Elle lui demande de l’emmener avec lui, mais celui-ci refuse en lui mentant sur ses intentions.


Il demande à Claire de partir trouver des serviettes pour Koch.

Entre-temps il s’y prend à son ami Fak. Il accuse sa sœur d’avoir donné des idées à Fak de coucher avec elle. Ce dernier nie mais Charles connaît Fak et sait ce qui se trame dans sa tête.


Manipulateur et pervers, Charles fait jurer Fak qu’il lui demandera d’abord sa permission de coucher avec sa sœur. En échange : les clés de la jaguar.

Il lui donne ainsi sa bénédiction :


« si tu as l’idée tu peux la garder »


Fak lui donne les clés.

Charles échange ainsi les clés de la jaguar avec la virginité de Claire.

Tout cela sous les yeux de la jeune fille qui regarde au loin.


IV


Au matin qui se lève, Cécile demande à son fils Charles ce qu’il compte faire pour se faire récompenser d’avoir tiré Maurice de l’eau.



«avant qu’il n’ait pu, à forces de trahisons et de complicité,

remettre son automobile en marche

et qu’il file avec la poule et toutes nos espérances»


Elle l’appelle Carlos. On apprend donc l’origine de cette famille, immigrés d’un pays hispanophone.


Cécile veut que Charles gagne les faveurs de Maurice dans l’intérêt de sa famille mais celui-ci demeure secret dans ses intentions. Il ne souhaite garder la « récompense » que pour lui, chose qui inquiète Cécile.


«pour qui est ce que tu penses?

Pour toi tout seul ou pour nous tous?»


« je veux être dans ton plan, au beau milieu de ton plan,

bouffer avec toi ma part de gâteau qu’il est juste que je bouffe avant de crever.

Je ne veux pas que ton plan soit pour toi tout seul,

que tu nous laisses plantés dans cette merde »


Elle nous fait part de son histoire d’immigration et les raisons qui l’ont inspirée à quitter son pays d’origine, qu’elle idéalise et où elle rêve en cachette d’y retourner.


Elle voit Maurice comme son ticket de sortie, peut-être sa dernière chance d’avoir une meilleure condition de vie dans ce pays.


«si tu ne fais rien

je vais m’occuper moi-même de le faire cracher»


V


Charles vient retrouver Abad qui, au demeurant, est mouillé.


Il veut qu’Abad lui prête de l’argent pour « s’en prendre » à Monique.

De cette façon elle pourra percevoir que, elle et lui, sont du même niveau.

Ils peuvent ainsi se reconnaître et s’entraider.


« les riches ils voient l’argent dans les poches des autres,

à travers le tissu »

Il promet qu’il lui rendra son argent et qu’ils partiront ensemble.


« on est des frères, moricaud,

par le sang on est des frères, par le pognon on est des frères,

par les démangeaisons on est des frères ;

tu n’as pas intérêt à ce que je sois un pouilleux, moricaud,

ou alors tu seras le premier à te gratter »


Abad, sans un mot, lui donne l’argent qu’il demande.


En retrouvant Monique, elle est séduite par l’air timide de Charles, tout comme l’argent qu’elle « sent » dans ses poches. Elle lui propose ainsi de partir avec eux.

Mais ils s’aperçoivent que la tête de la delco a été enlevée et la voiture ne marche pas.

VI


Cécile s’entretient avec Abad.

Elle sait que c’est lui qui a tiré Maurice de l’eau. Elle lui dit qu’elle ira retrouver Maurice et dira que c’est Charles qui l’a sauvé afin de se faire récompenser.

Elle éprouve du mépris pour Abad, tellement qu’elle lui raconte son plan. Elle ne pense même pas qu’Abad pourrait vouloir la récompense ou lui empêcher de parler avec Maurice

« ce monsieur distingué saura faire la différence,

on ne flottera jamais toi et moi sur le même morceau de bois »


VII

Fak retrouve Claire et insiste à vouloir coucher avec elle.

Naturellement elle refuse mais rétorque que de toute façon, qu’elle soit d’accord ou pas, Fak a du contrôle sur elle puisque son frère à échanger sa virginité par les clés de la jaguar.

Fak lui dit qu’il ne veut pas la violer, qu’il veut qu’elle soit d’accord et qu’il n’a pas le pouvoir sur elle.

De bonne foi il lui donne la tête de la delco qui lui permettrait de faire démarrer la voiture.

Ceci dit, il lui rend symboliquement le pouvoir sur sa virginité.

Si elle décide de coucher avec lui c’est parce qu’elle est grande et peut prendre ses propres décisions.


Elle accepte de le retrouver le soir.

VIII


Charles vient dire adieu à Abad.

Il cherche Fak pour avoir la tête de la delco puis il partira, seul.


Sa trahison se justifie ? Il blâme le manque d’ambition de son ami et fait référence au temps quand ils pouvaient avoir un statut social dans ce port abandonné, un statut que seul le port d’armes auraient pu le leur donner.

Chose qu’Abad avait refusée.


Il dit également qu’il l’a aidé il y a longtemps, quand Abad se cachait de la police, et que par conséquent il ne doit pas lui en vouloir.

L’ambition de Charles est de passer de l’autre côté et travailler comme un « gorille », un surveillant à l’entrée d’une boîte de nuit.

Il lui dit que le travail honnête est la seule manière de s’en sortir.

IX


Claire donne à Monique la tête de la delco pour qu’elle parte avec Maurice (afin d’empêcher le départ de son frère) mais les pneus de la voiture on été crevés, par Cécile, en empêchant complètement leur fuite.


Cécile arrive avec Rodolphe, son mari.

Elle veut sa « récompense ».

On apprend que Cécile veut que Maurice l’aide avec sa demande de visa.

Elle a besoin d’un notable pour un dernier coup de pouce.


« nous voila réduits à l’état de chiens errants

avec des demi-visas, dans le noir »


Mais Maurice fait la sourde oreille aux demandes de Cécile. Il veut partir, rentrer chez lui, mais avant il demande de retrouver sa montre, celle qu’il a déposée aux pieds de Charles dans le hangar.


Cécile demande donc à Rodolphe d’aller en premier dans le hangar et de « faire peur » à Abad, qui s’y trouve sûrement.

Abad ne doit surtout pas parler avec Maurice et dire que c’est lui qui l’a sorti de l’eau.


Mais Rodolphe, contrairement aux possibles désirs de Cécile, demande à Abad de tuer Maurice avec l’arme qu’il cache sous ses vêtements.

En effet, Rodolphe cache, depuis la défaite de la guerre, une kalachnikov sous son pantalon, tellement lourde qu’elle l’empêche de marcher.


Rodolphe menace Abad en lui disant que s’il ne tue pas Maurice il ira de l’autre côté pour le dénoncer pour port d’arme. Abad, sans un mot, accepte.


Mais avant de partir, l’ancien militaire lui dit :

« si tu n’as tué qu’un seul homme

tu es seulement à égalité avec ta putain de mort

(…) avec deux hommes tués,

tu laisses obligatoirement une trace de toi »


X


Cécile, Maurice, Fak, Charles, Monique arrivent dans le hangar.

Ils cherchent la montre de Koch.

Une fois qu’ils l’auront trouvée ils marcheront jusqu’à la ville.


De son côté, Cécile désespère puisqu’elle ressent que Maurice ne l’aidera pas. Ses derniers espoirs se brisent.


« remercier de quoi ?

Je n’ai aucune intention de remercier, figurez-vous,

mais d’engueuler »


Fak donnerait la montre à Monique, en échange de coucher avec elle. Elle refuse une nouvelle fois et quand ils s’apprêtent à partir Abad les arrête, arme à la main.


Cécile se met entre Maurice et Abad. Il faut que Maurice vive pour qu’il puisse les aider. Elle essaye de le sauver « une deuxième fois » afin de gagner sa faveur, sans savoir les désirs suicidaires de Maurice qui ne l’ont pas abandonnés.

Koch est tellement résolu à mourir que, quand Charles laisse par terre l’arme que son ami lui donne, Maurice reprend l’arme et la donne à Abad en disant seulement « pas devant ces gens ».

En étant seuls il essaye de convaincre Abad de le tuer en le menaçant et manipulant :


« si je rentre, croyez-moi, avec cette femme

nous irons directement à la police (…)

c’est pourquoi vous avez intérêt à me laisser faire,

me débarrasser d’elle, vous débarrasser de moi »


Parallèlement à la scène, dans le hangar, Claire et Fak couchent ensemble.

Une fois l’acte terminé il veut partir mais Claire le retient « qu’est-ce que je deviens, alors moi, au milieu ? »

Elle s’accroche à lui. Pour toute réponse Fak la frappe et part.


Coup de feu.


XI


Malgré la mort de Koch, Charles est déterminé à partir et se retrouve avec son père pour lui dire adieu et demander sa bénédiction


« les vieillards peuvent bien avoir pitié

de ceux que l’avenir guette comme un ennemi »


Il fait appel à l’ambition masculine de son père, à sa nature d’homme et son sens de la justice.

Mais Rodolphe lui tourne le dos en lui disant qu’il n’a pas besoin de sa bénédiction puisqu’il n’est même pas sûr d’être son père.


XII


Dans le hangar, les trois femmes se retrouvent désappointées.

Monique veut aller à la police dénoncer la mort de Maurice. Et même si Claire essaye de la convaincre de rester tranquille, de l’aider à trouver des pneus pour la voiture afin que Monique ne se perde pas, elle part quand même.

De son côté Cécile est malade. Elle rentre dans une transe de contradictions, éclaircissements et hallucinations qui nous expliquent énormément sur sa personnalité et son histoire. Après un discours en quechua, elle s’endort, pour ne plus se réveiller.


Claire abandonne sa mère pour aller retrouver Charles.

Elle va pour s’offrir à lui en échange de sa protection.


« si je te disais que je peux t’aimer Charlie

comme personne ne pourra t’aimer ?

Je peux t’aimer moi, qu’il fasse jour ou qu’il fasse nuit,

en hiver et en été, n’importe comment et n’importe où,

ici ou ailleurs »


Charles part sans répondre.

Il rejoint Fak qui tire le corps de Maurice dans le fleuve.

De son côté, Abad tire des coups de kalachnikov sur l’eau sans raison.

Ensuite il dirige l’arme vers Charles et tire.


3. Analyse des personnages :


Tous les personnages ont énormément de contrastes ce qui les rend humains et si facilement identifiables.

Rodolphe

Homme de 58 ans. Ancien miliaire brisé par la guerre. Il est à moitié sourd et aveugle et n’arrive pas bien à marcher. Sa famille, notamment sa femme, le traitent comme un malade, un idiot.


Il est le mari de Cécile pour laquelle il exprime plusieurs sentiments contradictoires.

D’un côté, il a beaucoup de tendresse pour elle. Il l’appelle « cabecita negra ». Il exprime également du désir « regarde ses jambes » et une espèce d’admiration malsaine sur sa sauvagerie « c’est l’indienne qui se réveille (il sourit) » et la ténacité de sa femme « les mères sont les papas et les mamans à la fois ».

Ses sentiments sont très fortement contrastés par sa haine fulgurante envers elle. Il s’adresse à Cécile souvent comme « puttasse », « chienne ».

Cette haine viscérale est générée par l’incertitude de sa paternité (il n’est pas sûr d’être le père de Charles et Claire).


« est tu si sûr que je sois ton père, toi,

alors que je ne le suis pas moi-même ? »


Raison pour laquelle il exprime du mépris envers eux, notamment envers Charles :


« Charles : pourquoi est-ce que tu veux mon malheur ?

Rodolphe : parce que je ne te veux rien »


Rodolphe, ancien militaire, est un homme très orgueilleux et son orgueil l’empêche d’avoir de l’amour pour Charles et Claire, même si c’est lui qui les a élevés.


C’est un personnage très secret, ses ambitions et manière de penser tout au long de la pièce peuvent rapidement être jugées ou mal interprétées.


« je suis beaucoup trop vieux et trop con pour penser »


Par exemple, nous ne connaissons pas très bien les raisons qu’il a de désirer la mort de Maurice.

Ne veut-il pas la récompense ? Ne veut-il pas une vie meilleure ? Une place dans la société ?

Est-ce que la mort de Maurice lui permettrait de se venger de la société à laquelle il n’a pu appartenir ? Est-il heureux finalement de vivre sur ces quais ?


Ou il souhaite la mort de Maurice pour empêcher les désirs et plans de sa femme Cécile ?

Après tout il joue depuis plusieurs années à être handicapé pour qu’on lui foute la paix.


Cécile


Femme de 60 ans, atteinte d’une maladie dont le nom n’est pas spécifié.

C’est une femme puissante.

Nous savons qu’elle est indigène et que Rodolphe l’a épousée et fait d’elle une femme « normale ».


« cette sauvage traînait dans le ruisseau.

C’est moi qui l’a péché comme un têtard dans l’étang »


« c’est une chienne (…)

une fois nourrie, habillée, sachant cracher dans les crachoirs

et se laver les doigts dans les rince doigt,

la sauvage en elle s’est réveillé et elle s’est mise à travailler à mon malheur,

sans raison, pour son foutu plaisir de sauvage »


Elle parle le quechua. Langue parlé en Colombie, Équateur, Pérou, Chili et Argentine.

Elle s’adresse à elle-même comme « une vieille sauvage ». Elle l’accepte et même le glorifie. Elle est une hyène : forte, virile, courageuse, pour le meilleur et pour le pire. Peu importe la situation.

Elle n’a pas peur de se rabaisser, de pencher la tête pour avoir ce qu’elle veut, puisque baiser la tête n’est pas un signe de faiblesse pour elle.


Nous apprenons que Cécile fut une prostituée.

Raison pour laquelle Rodolphe est tout le temps à tirer sa jupe pour recouvrir ses jambes.


« mon mari dit que je resterais toujours une sauvage

même si je fais la puttasse »


Mais la question qui reste sans réponse est : est-ce que Rodolphe était son proxénète ?


« ce castré m’a mis dans le lit des sauvages,

il m’a fait baiser avec des larves »


En tout cas si Rodolphe permettait qu’elle couche avec d’autres hommes, il le paie cher. Rodolphe ne sait pas si Charles et Claire sont ses enfants. Cécile l’appelle même « le castré » « impuissant ».


D’un autre côté, nous retrouvons Cécile, la mère.

Nous savons qu’elle a abandonné son pays pour pouvoir donner une meilleure vie à ses enfants. Pays qui ne l’a pas reçue comme elle le désirait et qu’elle qualifie très souvent comme étant « une merde ».

Ne pas avoir son visa la met dans une situation d’entre deux. Un endroit où elle n’existe pas et se voit reléguée à une vie de marginal dans l’ombre.


Elle se sent tout autant désespérée en témoignant l’inaction de Charles puisque celui-ci n’a pas de gratitude envers sa mère ni d’ambition de vie.

Elle avait énormément d’espoirs concernant Charles, qui ont été déçus.


« c’est sur toi seul que j’aurais pu compter

pour donner un nom à ma maladie et ne pas en crever comme je vais crever,

sans avoir connu un seul petit moment sans souffrance et sans misère »


Elle ne peut ainsi s’empêcher de sentir du dédain envers son fils. Un dédain qui est aussi fort et venimeux que celui qu’elle ressent pour les habitants de ce pays :


« à te voir aujourd’hui, il ne me reste plus rien

des espoirs qui me tenaient si droite sur le bateau en arrivant ici,

rien que cette larve ignorante, incapable et renégate,

pâle comme les gens d’ici, vêtue comme les gens d’ici (…) et qui a méprisé l’école, tourné le dos à l’honorabilité ».


Elle connaît bien l’inintérêt de Charles envers sa famille et c’est ce qui l’inquiète le plus.


Elle blâme sa famille de sa situation, passé, présente et future.

Passé puisqu’elle voulait une meilleure vie pour eux, et présente puisqu’ils ne l’aideront pas à sortir de sa situation, ce qui condamne son futur.

Elle dit qu’avoir des enfants l’a condamnée à une vie de misère.


« maudit soit l’instrument de la reproduction de la femme

et maudit soit le dieu qui a maudit la femme par l’instrument errant de l’homme »


Cécile est une femme qui a traversé les mers, évolué dans différents milieux sociaux, elle a assimilé et intégré les codes… Toute son histoire personnelle tisse en elle un étrange mélange de manières, de cultures et de langues.


Charles :


Homme de 28 ans.

Charles est un homme d’une grande ambition, qui se sent empêché et contraint par sa situation de pauvre et de marginal que seul l’argent peut l’aider à échapper.

Cette situation, de plus que son ambition, le pressurise si intensément qu’il devient égoïste et sans scrupules.


« moi j’aurais toujours faim, toujours,

même quand je n’aurais plus de place pour ranger mon pognon,

j’aurais encore faim »


Il « assassine » ainsi tous les sentiments et liens qui pourraient le contraindre dans sa quête. Notamment envers sa famille, pour qui il exprime un mépris démesuré :


« est-ce que tu trouverais juste (…)

que je continue à dépenser cet age-là et cet argent-là

à entretenir la mort d’une vieille

et quand elle mourra, il ne me restera rien à moi ?

et à nourrir une fille pour des garçons que je ne connais même pas »


Il exprime autant de dédain pour sa famille comme sa famille le lui exprime. Sa mère l’appelle une larve et son père ne veut même pas l’entendre et le traite régulièrement de bâtard. Nous pouvons même nous demander, qu’est-ce qui s’est passé pour que Charles déteste autant sa famille ?


Mais un mépris qui n’est pas justifié est celui qu’il exprime envers sa petite sœur. Quand Monique lui demande s’il aime Claire il répond tout simplement « elle est maline. Elle apprendra vite ».


L’animosité de Charles envers sa sœur serait une attitude plutôt « classique » d’un frère envers sa sœur mais le machiste de Charles envers Claire se manifeste quand il s’entretient avec Fak, son ami.

Il menace Claire de la tabasser et la connaissance que son ami ait essayé de coucher avec elle ne le tourmente pas. Il verse toute la responsabilité sur Claire :


« je la tabasserais parce qu’elle t’a donné l’idée »


Mais il s’avère être machiavélique et sans scrupules quand il se donne des droits de propriété sur Claire pour arriver à ses fins.


« je ne veux pas que tu poses ta main nulle part

ni que tu la suives ni que tu aies l’idée d’essayer de la faire passer la dedans

la nuit sans que tu me disses que tu en as l’idée

pour que je puisse te dire si tu peux continuer à l’avoir ou non »


Il finit par échanger la virginité de sa sœur par une voiture.

L’innocence de Claire, pour Charles, a le prix d’une jaguar.


Ce machisme provient d’une culture où pour l’homme, peu importe ses actions, tout lui est permis et se trouve en haut de l’échelle. Et même les êtres, surtout les femmes, sont à sa disposition et sous son pouvoir.


Ce côté machiste lui vient de père.

Rodolphe par sa condition d’homme et de patriarche est le seul qui compte pour Charles… même si Rodolphe le déteste.


« je veux bien que tous me condamnent

mais je sais que si toi tu as entendu mon adieu sans me maudire

je ne tournerais pas toute ma vie sans pouvoir me débarrasser de cette condamnation.

(…) je me fous de la malédiction de ma mère »


Même si Cécile est celle qui a tout fait pour sa famille (chose que même Rodolphe reconnaît) il y a toujours plus d’admiration pour son père.


« j’admire l’homme fort, autoritaire,

j’admire l’homme de trente ans qui est autour de toi comme ton ombre,

et dont je me souviens un peu »


Nous pourrions penser que la déconsidération de Charles ne s’arrête que sur sa famille. Mais il n’a pas d’hésitation à mentir et trahir son meilleur ami.


Quand Charles parle a Abad il se réfère à lui comme « son frère » en disant « nous ».

Nous savons que Charles a trouvé Abad deux ans auparavant quand il se cachait dans le hangar et depuis ils sont devenus amis. Charles l’a pris sous son ail et l’a aidé et agit dans ses meilleurs intérêts.

Leur liaison est tellement forte qu’Abad ne parle qu’à l’oreille de Charles.


Mais quand il le trahit, il essaye tout de même à le manipuler et le convaincre qu’Abad doit lui rendre le service en lui laissant l’argent qu’il lui a prêté et donc en lui laissant l’opportunité d’avoir une vie meilleure.


« il n’y a qu’à soit même qu’on donne pour de bon ;

à un autre, on prête, et il faut bien qu’il rende un jour »


Il sait qu’Abad est un criminel et est recherché par la police. Pour cela il sait de quoi il est capable. Ce qui ne l’empêche pas de le trahir quand même.


Ce qui explique que finalement il se fasse assassiner par Abad à la fin de la pièce.

Mais le personnage de Charles trouve une certaine rédemption quand il avoue qu’il veut passer de l’autre côté pour devenir honnête. Tout comme sa mère voulait sur le bateau. Devenir un immigré de rives.

Il y a du courage dans ce qu’il recherche.


« j’ai jamais travaillé moricaud, jamais, je ne sais même pas comment ont fait,

le travail d’esclave, le travail honnête »


« finalement c’est bien l’honnêteté.

Finalement moi j’aime bien. »



Il veut appartenir à une société à laquelle il n’appartient pas mais rêves de le faire (par des raisons sociales, économique et même la géographie de la ville). Mais ceci n’arrête pas Charles qui a même traduit son prénom.


Abad


Homme de 30 ans.

Charles l’appelle «moricaud » qui est un terme pour désigner quelqu’un de couleur « basané ».

Abad est décrit comme quelqu’un de très secret et de pas régulier. Il ne parle jamais et quand il le fait, il parle qu’a l’oreille de Charles.

Il est comme un fantôme, un ange vengeur.


Il se compare lui-même à une bête :


« une bête logée en leur cœur, reste secrète,

parle que lorsque règne le silence, c’est la bête paresseuse qui s’étire et mordille l’oreille de l’homme pour qu’il se souvienne d’elle »



Tout dans la pièce nous mène à croire qu’Abad est un criminel.

Il se fait répudier par son père et abandonné, exilé de sa famille et il se cachait dans le hangar abandonné jusqu’à ce que Charles le retrouve.


« je suis celui qui a vu le diable (…) il avait la peau rose et pelé et les yeux bleus »


« tu paieras moricaud, c’est normal, je ne peux payer à ta place »


« tu as le sang trop pourri et ici ils ne font aucun effort

pour comprendre ceux qui ne parlent pas »


Charles exprime plusieurs fois sa peur de lui :


« ne bouge pas, ne t’énerve pas,

ne fais pas de connerie, cherche à pas comprendre »


« dis-moi où il est, vieux fou, que je lui parle avant qu’il s’énerve »


Une des raisons qui mène Charles à trahir Abad est exactement ce statut de criminel. Il ne peut être aux côtés d’un homme qui est recherché par la police, s’il souhaite une vie meilleure.


En effet la menace de la police est la seule chose qui fait réagir Abad. Quand Maurice arrive, Abad l’empêche de se suicider pour ne pas attirer la police. Puis, il prend l’arme de Rodolphe quand il se fait menacer d’être dénoncé.


« ces jambes-là, elles ont trop l’habitude de courir »


Cette peur est utilisée par Rodolphe quand il demande la mort de Maurice.

Abad est avant tout, un marginal en survie. Un déchet de la société, même la plus basse.

Puisque Abad n’a rien, il n’a donc rien à perdre et devient donc le parfait bouc émissaire, le parfait criminel.

La seule rédemption d’Abad est insufflé par Rodolphe.

Il lui dit que s’il n’a pas donné la vie il doit donner la mort pour laisser une trace dans le monde et exister.


Maurice est décrit comme « un tas rose et pelé». Quand Abad le tue on est renvoyé au diable dont il a fait référence lors de son seul et unique monologue. Le diable qui est le début de son histoire d’exil. En tuant ce deuxième diable, Abad aurait une troisième vie ?


« si tu n’as tué qu’un seul homme

tu es seulement à égalité avec ta putain de mort

(…) avec deux hommes tués,

tu laisses obligatoirement une trace de toi »


Quand Abad tue Maurice il devient vivant et quand il tue Charles, il acquiert le droit d’exister.

L’espoir de Charles est de partir pour vivre.

L’espoir d’Abad est de tuer pour vivre.

Ils sont libérés de leur situation, chacun à leur façon, à la fin de la pièce.

C’est pour Abad que Koltès a écrit la pièce.

Le premier personnage qu’il a créé.

Abad est sans-visa, sans-parole, sans-rien.

Pourtant tout tourne autour de lui. C’est lui qui donne la mort. Comme cadeau, comme rédemption, comme délivrance. Pour ceux qui le cherchent.


Maurice


Homme de 60 ans. Comptable, il accepte de s’occuper des finances de bonnes sœurs qui le mènent à sa perte. Il ne se souvient pas s’il l’a perdu ou dépensé.


« je ne fuis aucune prison (…) je n’ai simplement ni l’âge

ni l’envie de me refaire une personnalité »


Cet un homme de beaucoup d’argent, même s’il dit le contraire. On apprend que ce n’est même pas lui qui achète ses chaussures.

Maurice est un homme plutôt pathétique et incompétent, et est perçu comme cela par tout son entourage :


« vous ne savez reconnaître votre gauche de votre droite,

vous auriez été incapable de retrouver ce fichu quartier tout seul »


Tous ses plans se ruinent et renforcent à chaque fois le pathétique du personnage qui ne cherche qu’à mourir.


« j’ai connu ce quartier autre fois.

Je cherchais un endroit qui me ressemble »


Il n’arrive pas à conduire sa propre voiture, il n’arrive pas à se suicider et se casse la cheville, il n’arrive pas à tirer l’arme pour une deuxième tentative de suicide… il est dans la pièce, complètement mouillé et en pleurant sur Monique. Quand Cécile lui demande de l’aide, elle ne savait pas qu’elle demandait de l’aide à un homme imbécile et inefficace.


On lui attribue les éléments comiques de la pièce. Par son personnage, avec celui de Monique, nous remarquons la grande différence entre les habitants des deux rives. Tous deux sont ridicules même s’ils ont de l’argent.


Monique


Femme de 42 ans. Elle est la secrétaire de Maurice.

Monique est hystérique, futile, chiante, pédante, mais elle a une véritable loyauté envers Maurice.

Elle refuse de le laisser seul, le couve quand il se casse la cheville et refuse de le culpabiliser au conseil d’administration :


« Je dirai qu’on a fait travailler l’argent, je montrerais des plans d’investissement.

En deux heures Maurice je peux préparer cela.

Cela nous donnera un sursis.

Je suis bien capable de faire avaler ça au conseil d’administration »


Monique est la véritable héroïne théâtrale de l’histoire.

À la mort de Maurice elle s’en-chemine vers sa propre perte en disparaissant dans les rues.

Fak

Jeune homme de 22 ans. Ami de Charles.

C’est un homme de technique et de stratégie. Il est toujours un pas en avant que les autres. Il éprouve d’autant plus de plaisir que le défi est grand à relever.

Par sa jeunesse, sa seule ambition est de coucher avec toutes les femmes qui croissent son chemin, dont Monique et Claire.

(son nom Fak peut facilement se transformer en Fuck (coucher en anglais)


D’un côté Fak est décrit comme un homme timide et chevaleresque, gentil. Mais il est un vrai dur et veut imposer son pouvoir sur tous, hommes et femmes, notamment sur les femmes et surtout avec Claire avec qui il couche puis brutalise.


« je veux être méchant et dur et sans cœur à mon tour

et lui mettre la muselière comme à une bâtarde mal dressée,

me battre contre elle jusqu’à ce qu’elle se couche quand je lui dis de se coucher »


Claire

Jeune fille de 14 ans. Petite sœur de Charles.

Elle est vive, imposante, intelligente et intuitive.

Elle est la seule âme pure de l’histoire à cause de son âge. Elle a encore de l’innocence.

Claire est la seule à éprouver de l’amour pour son frère, qui la repousse sans cesse.

Elle ne veut pas rester dans sa famille mais a besoin de protection, elle veut se défendre mais tout est trop grand pour elle. Elle se tourne vers son grand frère, symbole de stabilité, mais celui-ci lui tourne le dos et la trahit.

Elle vacille entre deux. Le monde de l’enfance et le monde des grands et elle a peur de franchir le pas.

Elle sait qu’elle ne peut compter que sur elle-même, ce qui l’oblige à passer « de l’autre côté »


« je ne suis déjà plus petite.

j’ai commencé hier matin à boire du café et j’en ai bu jusqu’au soir.

Jamais je n’avais passé une nuit sans dormir »


Elle passe toute la pièce sans une de ses chaussures puisqu’elle veut savoir si elle est réveillée ou si elle dort.


Elle veut savoir.


La première nuit qu’elle décide de devenir grande, Fak lui fait des insinuations sexuelles. La deuxième nuit elle se fait brutaliser par lui.

Son entrée à l’âge adulte est violente et brutale. Il n’y a pas de retour en arrière.


Analyse Quai Ouest : Quelle est la question que souhaite répondre l’auteur ?

Quel est le rayonnement d’un lieu sur ses habitants ?

Comment le Quai « Ouest » influence-t-il ses habitants ?


I. le limbe


Bernard Marie Koltès nous place dans un endroit morbide, obscure, lourd et abandonné.

Un endroit entre la vie et la mort.


Tel que les quais de Manhattan, le Quai Ouest est : un endroit extrêmement bizarre. Un abri pour les clodos, les trafics et les règlements de comptes. Un endroit pourtant où les flics ne vont jamais pour des raisons obscures (…) un lieu où l'ordre normal n'existe pas, mais où un autre ordre, très curieux, s'est créé.


Nous nous retrouvons dans un lieu mythologique : le purgatoire, le Tartare.


Les personnages ne voient rien, ne distinguent rien. Incapables de retrouver leurs chemins.

« ce n’est pas le monde des vivants ici »


« dites-moi dans quel trou vous préférez qu’on tombe »


Il y a des ombres autour d’eux qui les observent, les guettent; et des cerbères qui aboient dans la nuit, mélodie mortuaire :


« il y a pleins de chiens sauvages autour de nous

qui rampent dans les décombres »


Maurice demande à Charles de le mener au fleuve afin de se noyer.

Charles est Charon, le passeur qui le mènera sur l’Estige jusqu’aux portes de l’inframonde, et qui demande uniquement une monnaie d’or.

Charles est le transporteur qui l’aidera à aller de l’autre côté.


Le quai Ouest est un quartier bas que Maurice et Monique connaissent. Ils disent que deux ans auparavant celui-ci était encore un quartier populaire :


« autrefois il y avait des lampadaires ici,

c’était un quartier bourgeois, ordinaire, animé (…)

mais aujourd’hui seigneur, n’importe quel individu le plus innocent qui se perdrait là même en plein jour pourrait se faire massacrer en plein soleil »


« tout a tant changé »


Mais si l’homme d’affaires et sa secrétaire appartiennent à ceux qui ont une place dans la société, ils ne sont pas « chez eux » sur le Quai Ouest : ce sont eux les étrangers.

En effet, les habitants de l’ombre sont des illégaux, des criminels. Des pauvres, des immigrés, des sans-papiers.

Des âmes en peine, des « sans espoirs », des « sans-rien ».


« les gars de quinze ans aujourd’hui (…)

quand on découvre le poing américain ils en sont au couteau,

et quand nous on se met tranquillement au couteau ils en sont déjà à l’arme à feu. Tous ils sont partis, et quand ils reviendront ils seront les rois

et on sera leurs esclaves »


« il faut être plus rat qu’un rat pour se plaire ici »


Il y a une ambiance de lourdeur, un air épais qui rend la respiration difficile et qui empêche la vision.


Les adultes ne dorment pas. Comme s’il fallait toujours être éveillé, toujours en garde.


« l’insomnie rend tout le monde nerveux.

La nuit on ne dort pas parce qu’on travaillait,

le jour on ne dort plus parce qu’on n’a pas travaillé ;

alors on ne dort plus jamais »


Cécile blâme Abad et son peuple d’avoir apporté la misère au pays en disant qu’ils sont des criminels ; pendant que Monique blâme le gouvernement et les propriétaires d’avoir permis à ces criminels de s’y installer et s’approprier des lieux en les rendant infectes et misérables.


« tout cela c’est la faute des loyers trop bas (…)

les rats et les cafards sont rentrés ici comme des soldats vainqueurs »


Mais pas pour longtemps.


Ils, les habitants du port, attendent l’intervention du gouvernement pour désinfecter les lieux et pour les faire fuir. Comme des rats de gouttières qui attendent l’intervention fatidique et inévitable.

On leur a déjà coupé l’eau, l’électricité et le ferry est mis en panne.



« on ne coupe pas l’eau quand on n’est pas décidé à intervenir ;

c’est la dernière chose qu’on coupe,

à cause des incendies qui pourraient se répandre.

Et quand on vient à cela c’est qu’on est décidé à faire fuir

jusqu’au dernier rat des caves »


Mais la question est : que fera-t-on de ces « oubliés » ?


En tant qu’illégaux ils n’accéderont jamais à la ville et ne seront pas acceptés.

Ce serait un état de limbe mais sans un endroit géographique où s’installer.


Quand Charles confond Maurice avec un policier, Maurice devient l’ange Michel qui garde les portes du paradis des indignes.

C’est pour cela que la famille de Charles cherche si désespéramment la faveur de Maurice. En gagnant sa faveur il peut les aider à être acceptés en ville.


« de l’autre cote là-bas, c’est le haut ;

ici c’est le bas ; ici même on est le bas du bas, on ne peut pas aller plus bas,

et il n’y a pas beaucoup d’espoir de monter un peu »


Maurice demande de l’aide à Charles pour mourir, il lui demande d’être son « passeur ».

Mais est-ce que Maurice serait à son tour le passeur de Charles ? Celui qui l’aidera à aller, avec sa voiture, du bon côté ?

Maurice vient à l’Ouest pour mourir.

Charles veut aller à l’Est pour vivre.

Ce qu’il ne sait pas est que la seule manière de sortir, est de mourir.



Les portes du paradis


Le titre de la pièce fait référence au Paradis.

Dans la Bible, l’Éden et le Paradis sont deux régions différentes, qui se trouvent côte à côte.

L’Éden est une plaine et le Paradis se trouve à l’est de ce jardin. Le Paradis étant la « maison de Dieu ».

Il est important de noter que l’Éden est l’endroit où Adam et Eve furent créés et à posteriori, chassés.


Nous faisons également référence au voyage du soleil qui se lève à l’Est et se couche à l’Ouest.

Mettant le côté Est comme le côté de la lumière, et le côté Ouest comme celui de l’ombre.


Ceci dit le côté Est de la ville portuaire fait donc référence au Paradis, ce qui par conséquent nous pousse à penser que le côté Ouest est un endroit de perdition.

Le côté Est représente donc l’espoir et par son contraire l’Ouest, le désespoir.

Le côté Est est une ville portuaire. Comme toute ville portuaire elle est riche grâce au commerce, dépôt de marchandises.

D’un autre côté, à l’Ouest, le ferry ne passe même plus, laissant ce côté de la rive, pauvre et abandonné.


C’est pour cela que l’ambition de tous les habitants de la rive Ouest, dont Charles, est de passer de l’autre côté. Du côté riche.


L’argent est extrêmement important pour Charles.

L’argent n’a aucune valeur du côté Ouest, mais de l’autre côté du fleuve, c’est tout ce qui compte. Cela lui permettrait d’accéder à un rang social.

Pour cela Charles ne s’inquiète même pas pour son visa.

Le caractère magique de l’argent est mis en valeur, par exemple, quand Charles demande de l’argent à Abad pour parler avec Monique et lui montrer qu’il est de son rang, même si c’est faux.

De manière ridicule celle-ci « sent » l’argent qu’il a dans ses poches, l’accepte et propose de l’aider.


« j’ai vu tout de suite que vous n’étiez pas un miteux »


Il dit même que l’argent, non seulement lui permettra une vie de l’autre côté du fleuve, mais l’aiderait également à accéder au Paradis :


« il (Dieu) demande une moyenne annuelle de ce qu’on a gagné (…)

tous ceux dont il est prouvé que le salaire dépasse une certaine somme vont au ciel, et les autres en enfer »



Et pour accéder à cet argent et à cet « autre côté » Charles est capable de tout.


Mais que veut dire finalement « l’autre côté » ?


Pour Cécile et Charles ça veut dire « l’opportunité ».

Pour Maurice, la mort.

Pour Claire, devenir adulte.

Pour Fak, le pouvoir.

Pour Abad, la vie.


II. Un lieu à l’image de ses habitants


La famille de Charles est une famille issue de l’immigration.

Ils sont partis dans l’espoir d’une vie meilleure pour assurer l’avenir de leurs enfants.


D’un côté, l’immigré a dû partir par des raisons personnelles : de guerre, de pauvreté ou espoir de vie meilleur.

Mais parfois ils doivent se confronter à la réalité du nouveau pays qui peut avoir des conditions très dures, surtout pour des étrangers dont la langue, la culture et la manière de procéder détonnent avec l’endroit qui les accueille.

Le pays qui accueille n’est finalement pas beaucoup mieux, et leur vie, pas forcément meilleure.


Nous ne comprenons que trop bien le désespoir de Cécile, femme mortifiée et brisée par la vie.

Les contraintes administratives bloquent l’accès à la vie qu’elle souhaite. Elle se retrouve ainsi dans un limbe politique.


« je ne veux pas que ton plan soit pour toi tout seul,

que tu nous laisses plantés dans cette merde

au milieu des sauvages que je ne connais toujours pas,

ni les habitudes, ni les manières, ni la religion,

sans eau, sans argent, sans lumière,

avec cette fille sur les bras que je ne saurais jamais à qui donner

car je ne connais personne ici »


Dans la pièce le choc culturel est mis en avant par Cécile. Elle dédaigne ce pays et ses habitants, qui l’ont entraîné vers une perte de son identité et par conséquent, provoque en elle l’idéalisation de son pays d’origine.

Même si elle l’a fuit, celui-ci est un endroit où elle a une appartenance, elle s’y retrouve, s’identifie.


« Est-ce que jamais tu ne songes à retourner au pays

pour faire ta vie la bas ?(…)

où tu ne seras pas étranger, où l’on parle ta langue ? »


Cette culture marque la différence majeure entre Abad et Cécile. Cécile se souvient d’où elle vient et elle peut s’agripper à sa culture, la seule chose qui a pu migrer avec elle. Au contraire, Abad essaye d’oublier d’où il vient.


« avec vous, venus ici sans père ni mère ni race ni nombril

ni langue ni nom ni dieu ni visa

est venu le temps des malheurs »


Abad devient donc le bouc émissaire de la haine de Cécile.

Elle le blâme et lui déverse ses malheurs.


Elle blâme Abad et son peuple d’avoir apporté la misère au pays en disant qu’ils sont des criminels :


« votre honte a courbé lentement nos épaules et baissé notre tête et ça a été le commencement de notre malheur »


Nous sommes témoins d’un mépris entre immigrés


« tu n’as pas le droit du tout d’exister »


Les « demi-visas » sont pleins d’une haine raciste envers les « sans-visa ».

Elle dit qu’ils sont tous deux des animaux sauvages mais pas de la même catégorie ; qu’à différence d’Abad, elle est un animal pur :


« a l’habitude de distinguer des animaux purs des animaux impurs

on ne couchera jamais sur la même couchette, merci bien.

Vous n’embarquerez jamais avec nous »


Elle, qui ne cherche qu’à aller vers une autre société privilégiée, retombe brutalement dans ses origines premières, indigènes, avant de mourir.




En conclusion, nous retrouvons un aspect fondamental de l’écriture théâtrale : le lieu conditionne toute la pièce.

En thermes dramaturgiques, l’auteur place les personnages dans un endroit qui est à son tour étroitement lié à une condition sociale ; où les personnages viennent résoudre un problème.

Dans les pièces contemporaines (qui ne s’érigent plus par des unités de temps, de lieu et d’actions) le lieu a pris une importance particulière puisqu’il symbolise de manière physique et extérieure l’état intérieur du personnage (psychologique et émotionnelle).

En thermes de scénographie, le metteur en scène et scénographe vont rendre cet espace de convergence, visuelle et matérielle.

La scénographie est une construction spatio-temporelle dans laquelle le spectateur n’est pas invité à entrer physiquement mais à se projeter mentalement.

La notion de décor conserve un souci figuratif de localisation de l’action, entre concret et abstraction, dans la restitution d’un univers mental et sensoriel issu de la dramaturgie. (cf Du décor à la scénographie - Jean Chollet )


Dans la pièce de Koltès, l’espace et son influence sont ambigus et à double courant :

le lieu influence les habitants mais les habitants influencent également le lieu.


La pièce nous explique que le gouvernement a souhaité dédier ces quais à des habitants plutôt marginaux afin de les éloigner d’autres habitants « plus privilégiés ». Cette marginalisation et cet oubli de la part du gouvernement ont entraîné la décadence des lieux.

En devenant abandonnés, les quais rabaissent la qualité de vie des habitants et à son tour les habitants se rabaissent à ce que le lieu leur envoie (un état de pauvreté et de misère).

Le lieu devient l’incarnation physique de leur perdition et leur désespoir.


Le lieu devient un personnage à part entier qui a un pouvoir omniprésent sur les personnages.


Ecrit en 1983.

Version analysée : imprimé en 2003 par Les éditions de minuit.

Traduction en quéchua de Abdon Yaranga Valderrama

Traduction en espagnol de Carlos Bonfil


 
 
 

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Ecrit par Carmen Rozzonelli
 

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